Jeux vidéo
L’« UGC » dans le gaming : quand les joueurs prennent aussi les commandes de la création

L’« UGC » dans le gaming : quand les joueurs prennent aussi les commandes de la création

En 2022, un créateur québécois a attiré l’attention d’un studio renommé grâce à un jeu conçu sur Roblox. Ce succès illustre une révolution qui redéfinit les rôles dans l’industrie du jeu vidéo : l’avènement du contenu généré par les utilisateurs (CGU), ou UGC (User-Generated Content). Aujourd’hui, les joueurs ne se contentent plus de consommer des jeux : ils les façonnent.

Selon le Gaming Report de 2024, près de 15 % des joueurs créent déjà activement du contenu et 80 % d’entre eux ont déjà joué à un jeu intégrant de l’UGC ; cette tendance s’impose comme une force incontournable. Ces chiffres révèlent qu’elle ne se limite plus à une niche de créateurs passionnés : elle transforme la manière dont les communautés interagissent avec les jeux et redéfinit les relations entre studios et joueurs. Portrait d’une tendance impossible à ignorer.

L’UGC : Une évolution à travers les âges

L’UGC émerge dans les années 1990, avec les mods de jeux comme Doom et Warcraft III, donnant naissance à des succès tels que Counter-Strike et DotA. Ces créations de niveau amateur ont transformé les jeux originaux, et ouvert la voie à une créativité sans précédent.

Dans les années 2000, des outils comme l’éditeur de cartes de Starcraft (1998) enrichissent cette dynamique, permettant la création de genres entiers comme les MOBA (Multiplayer Online Battle Arena). En 2009, Minecraft démocratise la création pour des millions de joueurs, inaugurant une nouvelle ère pour l’UGC.

Les années 2010 marquent l’essor des plateformes dédiées. Steam Workshop (2011) facilite le partage et la monétisation des contenus, tandis que Roblox (2006, popularisé après 2010) devient une référence incontournable. Des jeux comme Fortnite Creative (2018) permettent désormais aux joueurs de concevoir des expériences complètes, brouillant toujours plus la frontière entre amateurs et professionnels.

Un petit lexique de l’UGC…

Mods ou modifications : Transformations apportées par les joueurs à un jeu existant, qui peuvent inclure des nouveaux niveaux, personnages, mécaniques ou quêtes (modifications, parfois appelées créations au Québec).

Jeux bac à sable ou sandbox games : Jeux comme Minecraft ou Terraria offrant une liberté totale de création et d’exploration.

Marchés virtuels ou marketplaces : Espaces intégrés dans les jeux où les joueurs peuvent acheter et vendre leurs créations UGC. Exemples : Steam Workshop, Roblox Marketplace.

Une nouvelle économie inspirée des médias sociaux

Roblox (Kit média)

L’UGC s’apparente à la montée des médias sociaux au début des années 2000. Tout comme YouTube ou Instagram ont donné aux créateurs des outils pour diffuser leurs vidéos et images, les plateformes de jeux permettent aux utilisateurs de partager et monétiser leurs créations.

Sur Roblox, des développeurs indépendants génèrent des millions de dollars en concevant des jeux et objets virtuels. Selon Deloitte, le nombre de développeurs rémunérés sur des plateformes UGC pouvait dépasser 10 millions en 2024, avec des revenus globaux atteignant 1,5 milliard de dollars américains.

Cette dynamique économique ouvre des opportunités inattendues : certains créateurs, rendus populaires par leurs mods ou jeux, accèdent à des carrières professionnelles. Dota 2, né d’un mod de Warcraft III, a propulsé son concepteur dans l’univers des grandes productions. Ce phénomène rappelle celui des influenceurs sur les médias sociaux, qui transforment leur passion en métier.

Le futur du gaming co-créatif

L’UGC transforme l’industrie du jeu vidéo en permettant aux joueurs de devenir non seulement des créateurs, mais aussi des consommateurs avides de contenus produits par leurs pairs. Ce modèle encourage une boucle créative où les utilisateurs participent activement tout en explorant les œuvres d’autres membres de la communauté.

« L’UGC est plus qu’une tendance ; c’est une révolution fascinante qui bouleverse les attentes des joueurs et les modèles d’affaires des studios. » – Nicolas Dieu

Cette dynamique stimule l’émergence de nouveaux modèles économiques. Des studios comme Super Social et Creator Corp se spécialisent dans la conception d’environnements et d’expériences pour des plateformes UGC comme Roblox et Fortnite Creative. Ces entreprises pionnières témoignent du potentiel considérable de cette économie collaborative.

Comme le souligne Nicolas Dieu, expert en performance des produits et des affaires – industrie du jeu vidéo : « L’UGC est plus qu’une tendance ; c’est une révolution fascinante qui bouleverse les attentes des joueurs et les modèles d’affaires des studios. » L’industrie se réinvente pour répondre à cette transformation unique.

Des opportunités, mais aussi des défis

Si l’UGC inspire et stimule l’innovation, il soulève également des enjeux majeurs. La sécurité et la modération des plateformes sont cruciales pour éviter les abus et la diffusion de contenus inappropriés.

En parallèle, il faut développer des modèles économiques durables. Les joueurs-créateurs doivent être justement rémunérés, sans compromettre la viabilité des plateformes.

Une industrie en mutation et des responsabilités à assumer

Plus qu’une tendance, l’UGC est un mouvement qui redessine les contours d’une industrie que l’intelligence collective renouvelle. L’histoire du jeu vidéo s’écrit toujours à plusieurs mains – et c’est précisément ce qui rend son futur si excitant.

Par Cassie L. Rhéaume, chroniqueuse pour LES CONNECTEURS, et directrice générale de TechnoCompétences | publié le 29 janvier 2025