Quand l’IA se penche sur les secrets du cancer

Amin Emad. (Photo détourée : Mila)

Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS | Publié le 8 mai 2025


Et si l’intelligence artificielle permettait de prédire, avant même de commencer un traitement, si une cellule cancéreuse y résistera? C’est le pari des chercheurs Amin Emad et Morag Park de l’Université McGill qui, grâce à des modèles d’IA, tentent de décoder les mécanismes moléculaires à l’origine de la résistance aux médicaments. Une avancée fondamentale, qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles thérapies personnalisées.

Dans un laboratoire de recherche, des algorithmes d’intelligence artificielle scrutent des cellules cancéreuses. Leur mission : prédire la réponse de ces cellules à différents traitements, seuls ou en combinaison. À première vue, cela ressemble à un exercice purement informatique. Mais les implications sont bien réelles : comprendre pourquoi certains cancers résistent aux traitements, et identifier les failles exploitables pour les vaincre.

« (…) nous avons développé des modèles d’IA qui sont en mesure de prédire la réponse des cellules cancéreuses à des traitements (…) et d’identifier les gènes qui déterminent la sensibilité ou la résistance de ces cellules aux médicaments. »

Le concours « Données omiques contre le cancer (DOCC) », lancé en 2020 par Génome Québec, l’Oncopole (pôle cancer du Fonds de recherche du Québec) et IVADO, vise à promouvoir la recherche multidisciplinaire en intelligence artificielle, en sciences omiques et en cancérologie, dans le but de soutenir le développement d’applications et d’outils d’IA qui pourront exploiter les données au profit des traitements contre le cancer. C’est grâce à cette initiative que des projets de recherche comme celui du professeur Emad ont vu le jour.

« Dans ce projet, nous avons développé des modèles d’IA qui sont en mesure de prédire la réponse des cellules cancéreuses à des traitements en monothérapie ou en combinaison, et d’identifier les gènes qui déterminent la sensibilité ou la résistance de ces cellules aux médicaments, entame le chercheur en entrevue. Bien que notre objectif principal ait été de fournir des prédictions précises (sur des cellules cancéreuses cultivées en laboratoire), nous avons également utilisé des techniques d’IA dite « explicable »  (XAI) pour identifier les gènes qui contribuent à ces prédictions. Ces gènes sont très importants, car ils pourraient représenter de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles pour surmonter la résistance aux traitements existants », explique-t-il.

Une recherche encore fondamentale, mais prometteuse

Les principaux résultats attendus de ce projet incluent les nouveaux modèles d’IA qui auront été développés, visant à améliorer la prédiction de la réponse aux traitements dans le cancer, ainsi que les gènes identifiés par l’équipe de recherche, susceptibles d’être utilisés pour de nouvelles découvertes de médicaments.

« (…) nous avons identifié (…) plusieurs gènes qui influencent significativement la réponse des cellules cancéreuses à un médicament contre le cancer du sein (le tamoxifène), et avons confirmé leur rôle expérimentalement. »

Le projet s’inscrit principalement dans le domaine des sciences fondamentales : mieux comprendre le cancer au niveau moléculaire et identifier des mécanismes qui expliquent la résistance aux traitements spécifiques. « Par exemple, dans l’un des projets, nous avons identifié par des moyens computationnels plusieurs gènes qui influencent significativement la réponse des cellules cancéreuses à un médicament contre le cancer du sein (le tamoxifène), et avons confirmé leur rôle expérimentalement. Nous avons montré que ces gènes peuvent affecter la réponse des cellules cancéreuses à ce traitement. Ces découvertes peuvent inspirer des efforts futurs pour développer des thérapies ciblant ces gènes, dans le but de contourner la résistance aux médicaments ou de mettre au point des protocoles de traitement personnalisés », décrit le professeur Emad, dont le projet ne se limite pas à un seul type de cancer.

« Dans nos projets, nous incluons généralement des données issues de différents types de cancers. Cela nous permet de tirer parti des similitudes entre ces types dans leur réponse aux médicaments, tout en prenant en compte leurs différences. »

Pour entraîner les modèles, l’équipe de recherche se fonde généralement sur des données provenant de lignées cellulaires cancéreuses. « Ce sont des cellules cancéreuses cultivées en laboratoire (données disponibles publiquement) et qui ne constituent pas des données sensibles issues de patients. À partir de ces cellules cancéreuses, nous utilisons l’expression de leurs gènes (la quantité d’ARNm produite par chaque gène) ainsi que d’autres informations moléculaires. Nous exploitons également des données relatives à différents médicaments contre le cancer, telles que leur structure moléculaire. »

Les défis à relever

Dans ce champ de recherche, le défi principal réside dans la quantité limitée de données accessibles pour entraîner les modèles d’IA, en contraste avec d’autres domaines où ces technologies ont connu des avancées rapides. À cela s’ajoute la complexité intrinsèque de la biologie du cancer, qui rend l’élaboration de prédictions fiables particulièrement ardue.

« Lorsqu’un modèle d’IA doit apprendre les relations entre des milliers de gènes dans une cellule cancéreuse et leur réponse aux médicaments, il a besoin de nombreux exemples pour apprendre efficacement. Cependant, mesurer expérimentalement ces données et les obtenir est très compliqué. En conséquence, pour développer de tels modèles, nous devons inventer des stratégies adaptées à la quantité de données disponibles, puisqu’elle se veut plus restreinte que dans d’autres domaines comme la vision par ordinateur », illustre le chercheur.

Vers une médecine plus ciblée

Bien que cette recherche n’ait pas encore d’applications cliniques directes, elle jette les bases d’une médecine plus précise. En cartographiant les mécanismes moléculaires de la résistance aux traitements, l’IA devient un outil précieux pour guider la recherche pharmaceutique et imaginer, à terme, des protocoles de traitement personnalisés.


Consultez d’autres articles de ce dossier thématique