Le gaming d’aujourd’hui et de demain : bilan des succès et défis de l’industrie du jeu vidéo

4 février 2025

De l’évolution de la jouabilité (« gameplay »), aux nouveaux codes de création et modèles commerciaux, en passant par la quête de l’immersion et de l’hyperréalisme, l’industrie du jeu vidéo n’aura jamais été aussi compétitive, innovante et transformée qu’en cette période de l’histoire, ère de toutes les révolutions technologiques. Mais l’intégration de l’intelligence artificielle, l’exploration du métavers et la folie des grandeurs des grands joueurs de l’industrie à l’origine de ce mouvement, posent aussi des dilemmes éthiques quant à la façon d’entrevoir la création, la consommation et la promotion du « gaming », tant sur le plan national qu’à l’international.

Un éditorial de Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS, tiré du numéro du 31 janvier 2025

Un bilan-portrait du marché local

En tant que plaque tournante du secteur, Montréal intéresse les plus grandes entreprises, habitée des bureaux Ubisoft, Warner Bros. Games et Behavious Interactif, avec pas moins de 14 000 professionnels répartis dans 280 studios à travers la province, selon la Guilde du jeu vidéo du Québec.

En termes d’inclusion, on observe une tendance encourageante pour la parité dans l’industrie. En 2022, l’Association canadienne du logiciel de divertissement (ALD) rapportait que les joueuses représentaient 51 % des adeptes de jeux vidéo au Canada, contre 49 % de joueurs. Au Québec, plusieurs initiatives ont aussi été lancées pour favoriser une meilleure représentation académique et professionnelle des femmes dans le secteur. De concert avec Parité sciences, l’entreprise Ubisoft, par exemple, qui emploie plus de 5 000 personnes dans la province, a annoncé qu’elle élaborerait des stratégies pédagogiques et des activités stimulantes destinées aux jeunes étudiantes, incluant les conceptrices de jeux vidéos, les informaticiennes, les mathématiciennes et les physiciennes de demain. Tout récemment, l’entreprise s’est associée à l’organisme CyberCap pour soutenir la réussite des élèves du primaire à travers un programme visant à « développer la bienveillance numérique ». Une nouvelle qu’annonçait en primeur la directrice générale de CyberCap, Marie-Astrid Dubant, en entrevue avec notre rédaction pour une capsule LES CONNECTEURS 3 Q/R.

Au chapitre des défis de l’industrie du gaming au Québec, l’enjeu réside surtout dans la rétention de talents, l’amélioration de leurs conditions de travail et l’offre d’avantages pour les start-up qui peinent à faire face à la concurrence menée par les géants de l’élite, dont plusieurs dénoncent certains privilèges.

Pensons au crédit d’impôt couvrant jusqu’à 37,5 % du salaire des travailleurs dans le secteur du multimédia, qui profite justement à des entreprises comme Ubisoft et Google, dont le siège social n’est pas au Québec, et avec lesquelles les entreprises québécoises du jeu vidéo et de la technologie rivalisent difficilement. « Mais dans le cas de Ubisoft, c’est un grand succès, parce qu’on a créé beaucoup de forces vives, pointait l’homme d’affaires et ex-ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en entrevue avec notre rédaction. « On a vu beaucoup de gens quitter Ubisoft pour démarrer leur entreprise, sinon pour aller travailler chez CAE, leader dans le domaine des technologies de simulation en santé. Ces crédits d’impôt, instaurés il y a plusieurs années, ont bien servi le Québec. Maintenant, ce dont il faut s’assurer, c’est que les sociétés étrangères qui viennent ici et qui bénéficient des crédits d’impôt paient leur juste part, et c’est le cas de Ubisoft, qui crée de la richesse pour le Québec. Mais cela n’exclut pas qu’il y aura des ajustements à faire puisqu’il y a plusieurs crédits d’impôt (multimédia, cinéma, etc.). »

La montée de la VR à l’échelle globale

L’industrie du jeu vidéo aura aussi été marquée par une importante progression du marché des casques de réalité virtuelle (VR) au sein de sa communauté. Déjà en janvier 2022, les données collectées par Valve révélaient que 3,4 millions de casques VR étaient actifs sur la plateforme chouchou des « gamers », Steam, ce qui représentait 2,14 % des utilisateurs totaux.

En 2025, l’engouement n’est toutefois pas à la hauteur des attentes des Meta de ce monde, quoique en bonne voie de retrouver un second souffle avec le déploiement de la 5G, et la production de processeurs plus performants.

L’IA, le deepfake, et les risques liés à la perte d’emploi et aux abus de talent

L’IA générative et reproductrice soulève aussi de plus en plus de questions éthiques d’ordres professionnel et commercial quant aux nouveaux moyens de production et de création, notamment parce qu’elle peut faire perdre des emplois et des revenus à plusieurs artisans, en plus de créer un vide juridique quant aux droits d’auteur.

Dans l’industrie du jeu vidéo, le cas d’usurpation dont a été victime l’actrice britannique Victoria Atkin en atteste. Celle qui est connue pour être la voix qui double le personnage d’Evie Frye du jeu Assassin’s Creed Syndicate, développé au Québec par Ubisoft, a dénoncé l’usage non-autorisé de sa voix sur Nexus Mods, un site très populaire où les gamers (amateurs de jeux vidéo) peuvent télécharger ce qu’on appelle des « mods », soit des ajouts ou des modifications qui peuvent bonifier leur expérience d’un jeu vidéo. En tant que contributeur de la plateforme, un créateur de la communauté a sollicité l’IA pour imiter la voix de Mme Atkin, puis en a fait un mod, qu’il a par la suite offert en téléchargement sur la plateforme, permettant ainsi à des centaines d’intéressés de télécharger la voix de l’actrice et d’en faire une narratrice de leur jeu, sans son autorisation et sans qu’elle n’ait touché de redevances.

Pour Mme Atkin, ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que bientôt, ce sont les développeurs des jeux eux-mêmes qui n’auront plus qu’à utiliser l’IA pour générer des voix, imitant ou remplaçant celle des acteurs, sans avoir à les rémunérer ou les engager pour faire du doublage.

Mais en attendant, ce genre de pratique se veut déjà bien répandu dans le secteur du divertissement, dans un contexte d’activité illégale ou non-encadrée visant à faire du trafic de masse, notamment dans le secteur musical.

Bien que des normes légales commencent à émerger, en Europe et en Amérique, pour discipliner la communauté de créateurs, fans et consommateurs, l’encadrement des contributions faites par et avec l’IA constitue l’enjeu prioritaire pour le secteur des jeux vidéo. Autres enjeux à surveiller de près : le défi du renforcement d’une culture du gaming inclusive et bienveillante, et le besoin pour la culture de l’e-sport (sport électronique) de s’imposer dans l’univers de la compétition, tout en maintenant un climat sain, et en répondant aux critiques du choix de l’Arabie saoudite comme hôte des premiers Jeux olympiques d’e-sport, attendus en 2026 ou 2027.

Un éditorial de Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS

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