
Par Fanny Tan, journaliste, LES CONNECTEURS | Publié le 19 novembre 2025
En août dernier, alors que la Colombie-Britannique était aux prises avec d’importants feux de forêt, son service de lutte contre les incendies mettait en garde la population contre un phénomène troublant : la circulation d’images générées par IA, dépeignant une vision impressionnante, mais factice des événements.
« L’objectif derrière ces vidéos, c’est d’exploiter la panique et l’anxiété liées aux événements climatiques », explique la journaliste Ophélie Dénommée-Marchand. Celle qui se spécialise en vérification de faits a également été témoin de ce type de contenu, en particulier dans le contexte des ouragans Milton et Hélène aux États-Unis. Elle explique comment les créateurs de ces vidéos alarmistes n’hésitent pas à mélanger le vrai et le faux, injectant au sein d’un montage rapide des images issues de catastrophes naturelles passées, voire des images complètement fausses, générées par ordinateur.
Le résultat? Pour les audiences, une vision apocalyptique et erronée des événements. Pour les créateurs, un gain financier potentiel, octroyé par les plateformes qui récompensent les créateurs de vidéos virales, peu importe la véracité des informations qu’elles mettent de l’avant.
« L’objectif derrière ces vidéos, c’est d’exploiter la panique et l’anxiété liées aux événements climatiques. » – Ophélie Dénommée-Marchand
Même si elles ne visent pas à nier ni à dédramatiser la crise climatique, la diffusion à grande échelle de ce type d’images contribue néanmoins à brouiller la compréhension des événements auprès des communautés affectées, impliquant des conséquences bien réelles. Ophélie Dénommée-Marchand donne l’exemple des rumeurs qui ont circulé, pendant que frappaient de violents ouragans au sud de la frontière, à propos des travailleurs de la Federal Emergency Management Agency (FEMA). Virales, ces histoires infondées ont mené à des appels à la violence contre des agents fédéraux, tout en posant des risques accrus pour la sécurité des citoyens. À l’instar des autorités en Colombie-Britannique, la journaliste s’inquiète de la prolifération de telles vidéos en temps de crise, dans un contexte où plusieurs Canadiens continuent de s’informer sur les réseaux sociaux, malgré le bannissement des nouvelles de médias d’information reconnus sur les plateformes de Meta.

L’apparition de ces vidéos catastrophistes marque-t-elle le début d’un raz-de-marée de désinformation climatique générée par IA sur nos fils d’actualité? Pas tout à fait, nuance Ophélie Dénommée-Marchand, qui attire notre attention vers un autre pendant de la désinformation climatique en ligne.
Porté par une multitude d’acteurs — des lobbies pétroliers aux élites politiques, en passant par les influenceurs de la droite alternative—, le discours du « retardisme » climatique a le vent en poupe. Cette nouvelle stratégie de désinformation, qui reconnaît l’existence de la crise climatique tout en sous-estimant son urgence, cherche à semer le doute sur les solutions possibles, par exemple, en minimisant les causes réelles du réchauffement climatique, comme les industries pétrolières, et en mettant de l’avant des solutions peu efficaces, comme la capture du carbone.
« Mais ces acteurs continuent à utiliser des images réelles, plutôt que des images générées par l’IA, pour illustrer leurs propos », explique la journaliste. Forte de plusieurs années d’expérience au sein de Lead Stories, une importante cellule de vérification des faits en Amérique du Nord, Ophélie Dénommée-Marchand croit que les porte-voix du retardisme climatique n’ont tout simplement pas besoin de créer des images factices pour appuyer leurs propos, compte tenu de leur utilisation fréquente d’images réelles, mais sorties de leur véritable contexte.
Il est toutefois probable, selon elle, que les propagateurs de désinformation climatique utilisent l’IA pour automatiser l’édition de leur contenu vidéo, accélérant ainsi leur débit de production. La rapidité de l’édition vidéo par IA offrirait également aux acteurs opportunistes la possibilité d’encore mieux exploiter les désastres naturels « sur le vif », voire même « un peu à l’avance, pour les événements anticipés comme les ouragans, ou encore des volcans sur le point d’entrer un éruption », explique la journaliste.
Elle dénote également une tendance, chez ces acteurs, à modifier numériquement les images décontextualisées pour rendre leurs narratifs plus difficiles à déboulonner. En zoomant sur l’image originale, en la retournant ou en changeant ses couleurs, les créateurs de contenu de désinformation complexifient la recherche par image inversée, une des techniques les plus fréquemment utilisées par les journalistes pour retrouver l’image originale et invalider les propos fallacieux.
Bien que les acteurs de la désinformation climatique ne s’appuient pas encore systématiquement sur les images générées par l’IA, l’augmentation des événements météorologiques extrêmes autour du monde, jumelée à l’accessibilité croissante des outils de génération d’images, accroît le besoin déjà pressant de s’outiller pour distinguer le vrai du faux.
À défaut de pouvoir se fier aux outils d’IA de vérification d’images artificielles, Ophélie Dénommée-Marchand conseille aux lecteurs de faire preuve d’un scepticisme sain, en particulier devant les contenus qui provoquent en nous des émotions fortes.
« Il faut prendre un pas de recul et se demander : qu’est-ce qui se passe vraiment ? », suggère-t-elle, recommandant d’aller chercher, auprès de sources journalistiques fiables ou de sources gouvernementales, des images et des informations complémentaires pour confirmer qu’un événement climatique s’est bel et bien passé, tout en s’assurant de suivre les directives des autorités compétentes en temps de crise, pour garantir notre sécurité et celle de nos proches.