[ÉDITO] Créativité augmentée : déstigmatiser l’IA en création
Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS | Publié le 17 septembre 2025
Nos journalistes et chroniqueurs ont pour mission de croiser les regards enthousiastes et voix critiques, afin de livrer une vision nuancée. L’IA et les technologies ne sont pas une fin en soi : elles sont des extensions utiles. Puisqu’il y a toujours deux côtés à une médaille, notre magazine adopte depuis toujours une ligne éditoriale claire en faveur de l’innovation responsable : il est important de se questionner sur l’intention, les enjeux éthiques, et l’impact environnemental, social et économique des nouvelles technologies, mais toujours de manière constructive et avec conscience de leurs effets positifs sur la société, aussi bien en santé, qu’en culture, au sein des industries, et dans tout secteur où l’innovation technologique porte déjà incontestablement ses fruits. Une posture que j’assume avec conviction, en tant que cofondatrice de LES CONNECTEURS, professionnelle des médias, et artiste multidisciplinaire.
« Utilisée dans de bonnes conditions, l’IA permet à un artiste de garder un contrôle renforcé sur son œuvre ou son projet créatif. »
Dans plusieurs numéros du magazine LES CONNECTEURS, notre rédaction et nos chroniqueurs ont exploré les usages controversés de l’IA en création, notamment en marketing. Nous vous y avons présenté l’innovation sociale de Philippe Bourque, ingénieur et musicien, qui propose une façon simple et volontaire d’identifier le contenu artificiel, en l’absence d’une certification officielle et de mesures universelles pour « normer » les produits générés par l’IA. En partenariat avec l’événement Entertain-AI, nous avons également fait la démonstration qu’un mariage équilibré entre le génie créatif humain et l’assistance de l’IA peut être un véritable vecteur de réussite. Utilisée dans de bonnes conditions, l’IA permet à un artiste de garder un contrôle renforcé sur son œuvre ou son projet créatif. Si elle réduit le nombre d’intervenants, elle lui offre en retour une meilleure capacité de direction, en lui permettant de mobiliser pleinement ses compétences, tandis que certaines tâches, secondaires de son point de vue, ou extérieures à ses propres atouts, sont prises en charge par l’automatisation.
Chris Bergeron : amplifier la créativité avec l’IA
Depuis quelques semaines, c’est le retour des rendez-vous « IA Québec », un balado conçu et présenté par le Conseil de l’innovation du Québec (CIQ) pour démystifier l’IA et outiller les entreprises québécoises dans leur transition numérique. Pour cette rentrée, les animateurs Anne Nguyen, directrice responsable de l’IA au CIQ, et Luc Sirois, innovateur en chef du Québec, ont visé dans le mille. En marge des controverses sur l’utilisation de l’IA en création publicitaire, ils ont eu l’excellente idée de recevoir Chris Bergeron, vice-présidente Contenu chez Cossette. Un choix pertinent pour faire le tri dans les discours anti-IA qui ont marqué l’été.
« Ça a été tout de suite une sorte de coup de foudre, chez nous, l’intelligence artificielle (…) » – Chris Bergeron, VP Contenu pour l’agence de pub Cossette
« Ça a été tout de suite une sorte de coup de foudre, chez nous, l’intelligence artificielle, en partie parce qu’une agence de publicité, c’est aussi un laboratoire, rempli de gens assez curieux qui aiment créer des images, des concepts et des nouvelles façons de dialoguer avec les consommateurs. »
Les outils d’IA générative comme Runway pour faire bouger les images sont dorénavant « complètement intégrés dans nos processus créatifs, qui se veulent cet espèce de mariage entre l’artificiel et le réaliste ».
Chris Bergeron compare avec justesse ce processus au synthétiseur en musique : « C’est comme si on lui donnait une personnalité, et qu’on pouvait lui parler. » Après tout, la technique du « sampling » (échantillonnage), qui consiste à composer une œuvre musicale à partir d’extraits ou boucles pré-enregistrés, n’a pas attendu l’IA pour s’introduire dans les studios de production!
À la question « Est-ce que le concept de ‘créativité artificielle’ existe? », posée par Anne Nguyen, la VP répond que « pour être créatif, il faut être conscient. Aujourd’hui, les intelligences artificielles ne sont pas conscientes. Elles sont toutefois efficaces pour démontrer des tendances et réalités statistiques. »
Une ouverture du côté de la communauté des artistes
En mars dernier, au congrès E-AI 2025, la présidente de l’Union des artistes (UDA), Tania Kontoyanni, reconnaissait en entrevue avec LES CONNECTEURS que « Nos biais ne sont pas arrivés avec l’intelligence artificielle, ils existaient déjà avant ». Un peu à l’image de ce que suggère Philippe Bourque lorsqu’il prône la création d’infrastructures locales et souveraines qui respectent le droit d’auteur, Mme Kontoyanni préfère miser sur les acquis et forces du Québec pour une souveraineté culturelle qui dépendrait moins des joueurs américains. Sans jeter le bébé avec l’eau du bain, une exploration des IA, en misant davantage sur nos infrastructures et des solutions développées au Québec pour le Québec, pourrait faire l’objet d’un compromis ou terrain d’entente entre les parties. « Je dirais à tout le monde, et particulièrement aux gens de la tech qui ont envie de développer, comprendre et être ingénieux en se projetant dans l’avenir, tous les geeks de ce monde, les scientifiques et les connaisseurs doivent prendre sur eux la responsabilité de démystifier et vulgariser ce qu’est l’intelligence artificielle générative, et toute autre révolution technologique, parce que les citoyens ont besoin de comprendre. C’est quelque chose qui est très loin de la majorité d’entre nous, et je pense qu’il vaut mieux pour la société qu’elle sache où est-ce qu’elle se dirige, qu’elle reste informée à travers les blogs, entrevues et articles qui sont justement très précieux en ce moment », avait conclu la présidente de l’UDA.