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Stocker les fichiers sur de l’ADN : une solution de rechange durable aux centres de données

Stocker les fichiers sur de l’ADN : une solution de rechange durable aux centres de données

Depuis des décennies, nous reposons sur les centres de données, ces vastes installations abritant des milliers de serveurs tournant en continu pour conserver nos informations. La consommation énergétique astronomique de ces « datacenters », qui représente entre 2 et 3 % de l’électricité mondiale, pousse les chercheurs à explorer des solutions alternatives, comme le stockage sur ADN de synthèse.

Les limites des centres de données

La consommation énergétique des centres de données représente entre 2 et 3 % de l’électricité mondiale. (Crédit photo : Adobe Express sous licence)

Il existe au moins 5 000 centres de données à travers le monde, dont 100 à 200 opérationnels au Canada. Ces infrastructures consomment 60 % de leur énergie uniquement pour faire fonctionner leurs serveurs, tandis que 40 % est nécessaire pour les refroidir.

En 2022, la production mondiale de données a atteint plus de 90 zettaoctets, un chiffre qui devrait tripler d’ici cette année. Pourtant, seulement 7 % de ces données sont archivées. Nous avons donc « hypothéqué » notre capacité de stockage.

L’ADN de synthèse comme solution

En quête d’un moyen de stockage plus durable, les chercheurs se penchent, depuis plusieurs années, sur l’une des solutions les plus prometteuses à ce jour : l’ADN (acide désoxyribonucléique) de synthèse. Considéré comme un support compact et optimal pour ses propriétés, la supermolécule permet de conserver une quantité massive d’informations très longtemps lorsque préservée de l’eau, de l’oxygène et de la lumière. C’est du moins ce qu’a révélé un échantillon d’ADN de mammouth vieux d’1,2 million d’années, retrouvé dans le pergélisol sibérien.

On pourrait stocker toutes les données actuellement hébergées sur les serveurs du monde dans seulement 100 grammes d’ADN.

Selon le biologiste moléculaire Stéphane Lemaire, l’ADN est des millions de fois plus dense que les supports numériques actuels. Le fil d’ADN d’une seule cellule, une fois déroulé, mesure environ deux mètres. En théorie, on pourrait ainsi stocker toutes les données actuellement hébergées sur les serveurs du monde dans seulement 100 grammes d’ADN.

Un aperçu du processus

Les scientifiques combinent l’ADN et les bactéries pour multiplier les copies d’information. (Crédit photo : Adobe Express sous licence)

Mais comment transforme-t-on des données numériques en séquences d’ADN? Pour s’approprier le concept, il faut d’abord comprendre la donnée. En langage informatique traditionnel, l’information contenue dans un fichier se traduit en code binaire, soit en une série de 0 et de 1. Or, en langage génétique, le code de l’ADN est associé, non pas à deux chiffres, mais à quatre lettres, par convention.

Lorsqu’on veut illustrer l’ADN, on s’imagine aisément ses deux filaments, enroulés en torsade, et attachés l’un à l’autre par des bases azotées (ou bases nucléiques), qui s’apparentent aux barreaux d’une échelle. Chaque barreau est composé soit des bases A-T, soit C-G, constituant les quatre bases, A-T-C-G, qui composent le code ADN. Pour stocker des données informatiques sur de l’ADN de synthèse, il faut donc passer du code A-T-C-G au code binaire.

Cela passe par la conversion des fichiers en un code où les informations sont représentées par des 0 et des 1. Les chercheurs attribuent alors à chaque lettre de l’ADN (A, T, C, G, un code binaire spécifique : A pour 00, T pour 11, C pour 01 et G pour 10. Cette méthode permet de créer des molécules d’ADN synthétiques pouvant stocker des informations numériques.

Contrairement à l’ADN naturel, qui est extrait d’organismes vivants, l’ADN de synthèse est fabriqué chimiquement en laboratoire. Ainsi, les chercheurs peuvent concevoir des séquences d’ADN sans avoir besoin de prélèvements biologiques.

Pionniers et avancées

Les pionniers dans le domaine du stockage sur ADN incluent Richard Feynman, qui en 1959 a ouvert la voie, et Georges Church de Harvard aux États-Unis, qui a réalisé la première démonstration significative en 2012. En France, des équipes de la Sorbonne ont également fait des progrès notables, en manipulant plusieurs brins d’ADN. En 2021, des chercheurs français ont réussi à protéger de vieux textes de loi en les encapsulant dans de l’ADN synthétisé, leur offrant une durée de vie estimée à 50 000 ans, en mélangeant l’ADN à une bactérie.

Les bactéries, comme l’E. coli, par exemple, présentent plusieurs caractéristiques avantageuses : elles se multiplient vite et se préservent bien. Lorsqu’une bactérie dans laquelle on a introduit le message synthétisé se multiplie, elle réplique aussi le message d’ADN.

Les défis à relever

Bien que cette technologie semble prometteuse, elle est encore loin d’être prête pour une utilisation généralisée, notamment parce que le coût et la complexité du processus de séquençage de l’ADN sont des obstacles significatifs. À titre d’exemple, le coût d’un gigaoctet d’ADN synthétisé peut atteindre 100 000 dollars américains, tandis que le traitement et la lecture d’un gigaoctet coûtent environ 500 dollars. Ces chiffres illustrent les défis financiers auxquels doivent faire face les chercheurs et les entreprises qui envisagent d’adopter cette technologie.

Le disque du futur

Si l’ADN de synthèse est déjà utilisé pour stocker des fichiers, il faudra attendre encore longtemps avant d’en faire un moyen de stockage adoptable à l’échelle globale. (Crédit photo : Adobe Express sous licence)

Malgré ces défis, le potentiel du stockage sur ADN est indéniable. Avec l’augmentation exponentielle des données et la pression croissante sur les centres de données traditionnels, l’ADN de synthèse pourrait bien être la clé d’une solution de stockage durable et efficace.

Dans un monde où les informations sont devenues essentielles, la capacité à les conserver de manière durable est plus que jamais un enjeu majeur. Au regard du rythme des avancées en la matière, l’ADN de synthèse promet déjà de transformer notre approche du stockage de données, offrant une alternative viable aux centres de données actuels. Alors que la recherche continue d’évoluer, il reste à voir en combien de temps cette technologie deviendra le disque dur du futur.

Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS | Publié le 24 janvier 2025