L’IA, la densité de l’information et la cybersécurité

Chronique de René-Sylvain Bédard | Publiée le 30 septembre 2025


L’intelligence artificielle se nourrit avant tout de données — des masses de données. Or, cette abondance, parfois amplifiée par l’IA elle-même, charrie aussi son lot de faussetés et brouille notre perception du réel. Plus de données signifie aussi plus de risques, et donc plus de besoins en cybersécurité. Mais notre hygiène numérique a-t-elle vraiment progressé au même rythme que notre capacité à générer du contenu?

L’intoxication de la connaissance par l’hallucination

Il n’y a pas si longtemps, Steve Ballmer, alors chez Microsoft, rappelait que le volume de données que nous produisions doublait tous les 18 mois. C’était quelques années à peine après l’arrivée des premiers téléphones intelligents, et déjà, l’imaginaire collectif s’emballait : que ferait-on de toutes ces photos, vidéos et textes? Et cela, bien avant que chacun puisse, grâce à l’IA générative, produire l’équivalent de centaines de pages en un instant.

En 2020, nous avions généré collectivement 2 zettaoctets de données. En 2025, ce chiffre est censé bondir à 181.

Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène : en 2020, nous avions généré collectivement 2 zettaoctets de données. En 2025, ce chiffre est censé bondir à 181. Or, 1 seul zettaoctet équivaut à plus d’un milliard d’heures de visionnement sur Netflix… ou à 250 milliards de DVD. Et puisque nos moteurs de recherche s’alimentent directement à partir de cet océan d’informations, une question s’impose : où se trouve, désormais, la vérité?

Distinguer le vrai du généré

Le cœur du problème, c’est qu’en raison du niveau atteint par l’IA générative, nous, simples humains, peinons à différencier le vrai du faux. Et de là naît un danger bien réel : le doute.

Que se passe-t-il lorsqu’on ne peut plus faire confiance à ce qu’on lit, à ce qu’on entend… ni même à ce qu’on voit?

Or, notre économie comme notre culture reposent sur un socle fragile : la confiance. Confiance en nos institutions, en nos lois, en la fiabilité des données.

Que reste-t-il quand cette confiance s’effrite, un peu plus chaque jour?

L’absence de véritable création

Il faut bien comprendre que le contenu généré par l’IA n’est pas de la création. L’IA ne fait qu’imiter ce qui existe déjà et, le plus souvent, confirmer les croyances ou les tendances dominantes.

Si on lui avait posé la question en 1902 : l’homme peut-il voler? — toutes les données disponibles auraient répondu non. Pourtant, dès 1903, les frères Wright prouvaient le contraire.

C’est précisément cette capacité humaine à repousser les limites, à inventer ce qui n’existe pas encore, qui échappe à l’IA. Elle ne crée pas : elle génère. Elle analyse, compile, ressasse — mais elle ne découvre pas.

Et que dire du volume…

En 2025 seulement, nous produirons l’équivalent de 20,7 millions d’années de visionnement sur Netflix. Vertigineux.

À tel point qu’il nous faudra bientôt… des IA pour analyser ce que d’autres IA génèrent. Avouez que le paradoxe frôle l’absurde. Pourtant, nous sommes tous déjà embarqués dans ce bateau.

D’où l’urgence d’une diète numérique. Limiter notre consommation de données, non seulement pour réduire l’empreinte énergétique, mais aussi pour éviter de saturer notre conscience collective. Et surtout, valider nos sources : ce que nous publions est-il vrai? Nos chiffres sont-ils vérifiables?

Le besoin de législation et ce qui s’en vient

Certains pays, notamment en Europe, obligent déjà l’étiquetage du contenu généré par IA afin qu’il soit clairement identifiable.

Au Canada, une initiative semblable avait été lancée… avant de tomber à l’eau avec le déclenchement des élections du printemps dernier.

À mon avis, il est impératif de remettre ce projet sur la table — et vite. Car distinguer une hallucination d’un fait est devenu essentiel. En cette ère de fausses nouvelles et de désinformation, il en va tout simplement de la survie de notre vie démocratique et de notre souveraineté intellectuelle.

Comment améliorer notre hygiène numérique

Permettez-moi de citer notre économiste-comptable préféré, Pierre-Yves McSween : En as-tu vraiment besoin?

Avant de générer des pages et des pages de contenu, avons-nous pris le temps de réfléchir? De faire nos devoirs intellectuels? De synthétiser notre pensée?

L’IA est une avancée formidable. Mais ce n’est pas une raison pour l’intégrer à chaque aspect de notre quotidien — jusque dans notre réveil matin. Il faut apprendre à prendre du recul, à l’utiliser avec parcimonie, et surtout… à continuer de faire travailler notre cerveau.

Dans ce texte, par exemple, l’IA m’a aidé à effectuer certaines recherches et calculs. Mais les validations et contre-vérifications? Je les ai faites moi-même. Quant à l’écriture, elle est 100 % humaine.

Car si l’IA avait écrit cet article, ce ne serait pas moi.

En vous souhaitant de rester SÉCURES.


Chronique parue initialement dans cette édition du magazine LES CONNECTEURS :