Le Québec à l’avant-garde de l’IA

Une chronique de Stéphane Ricoul | Publiée le 21 mai 2025


L’intelligence artificielle redessine les contours de l’économie mondiale, c’est un fait. Le Québec, lui, affirme sa position de leader avec une détermination remarquable. C’est un autre fait. L’événement IMPACT AI, auquel j’ai eu le privilège d’assister récemment, en a fait la démonstration éclatante.

« Ceux qui prendront des risques en investissant dès maintenant seront les leaders de demain. » Cette déclaration de Bruno Guglielminetti, expert numérique reconnu, résume parfaitement l’état d’esprit qui anime depuis plusieurs années maintenant l’écosystème québécois de l’IA. Alors que la tempête économique mondiale pourrait inciter à la prudence, notre Belle Province choisit l’audace et l’innovation.

Cette approche n’est pas sans rappeler celle de la Finlande qui, malgré sa taille modeste, a su s’imposer comme un hub technologique majeur en Europe grâce à des investissements stratégiques. Le Québec suit une trajectoire similaire, mais avec un atout supplémentaire, celui de sa concentration exceptionnelle de chercheurs en IA. Avec plus de 300 chercheurs et 9 000 étudiants spécialisés, la province dispose d’un vivier de talents inégalé, représentant la plus forte concentration de spécialistes en apprentissage profond au monde. Et pour cause, son père fondateur est ici, chez nous.

Des applications concrètes qui transforment les industries

L’événement a mis en lumière des applications concrètes qui dépassent largement le cadre théorique. Je vais commencer par la plus drôle (au sens littéral du terme). Chez RONA, l’IA a révolutionné l’expérience client en ligne, rapprochant significativement l’expérience numérique de celle vécue en magasin. Vous vous souvenez sans doute de la campagne publicitaire à propos du moteur de recherche sur le site Web de RONA qui, lorsqu’on lui demandait d’afficher les « zigouilleurs » disponibles, n’affichait aucun résultat. En le reliant à une IA comprenant le langage unique du monde de la construction au Québec, au-delà du « stunt » marketing, comme l’a souligné Omar Benomar, directeur principal de l’ingénierie logicielle, c’est l’importance d’inclure les utilisateurs finaux dès le début des projets, une approche centrée sur l’humain qui distingue le modèle québécois. En tout cas, celui de RONA. Tout aussi intéressant, cette utilisation de l’IA faite par Aeromag, qui a développé ce que Gabriel Lépine a qualifié de « Waze pour le dégivrage des avions », réduisant le temps d’immobilisation de 1 à 3 minutes par appareil. Ça a l’air de rien, 1 à 3 minutes, mais dans un secteur où chaque minute compte, cette innovation québécoise optimise les opérations de 60 000 vols annuels, avec des implications majeures pour l’industrie aéronautique mondiale. Et pour l’anecdote, sachez qu’avant l’IA, toute l’énergie était mise pour gagner… une maigre poignée de secondes.

« (…) Avec 1,9 million de membres actifs et 40 algorithmes dédiés, (le programme Inspire de la SAQ) capture 74 % des ventes et vise une personnalisation totale des offres. Cette approche data-driven rappelle les meilleures pratiques de géants comme Amazon ou Netflix, mais avec une touche québécoise distinctive. »

Ces réussites s’inscrivent dans un écosystème florissant. Le Québec compte aujourd’hui plus de 100 start-up spécialisées en IA, dont plusieurs rayonnent à l’international. Avec un financement en capital de risque qui a atteint 1,5 milliard de dollars ces dernières années, l’écosystème québécois démontre une vitalité comparable à celle de hubs technologiques bien plus anciens. La particularité québécoise ne réside pas uniquement dans sa capacité d’innovation, mais aussi dans son approche éthique. Présent aussi sur scène, Télé-Québec illustre parfaitement cette philosophie en misant sur « l’innovation responsable ». Comme l’ont souligné Sébastien Labbé et Marie-Claude Robichaud, l’objectif n’est pas de céder aux géants étrangers, mais de développer une IA qui valorise l’intelligence humaine. Une vision fait écho à la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’IA, initiative pionnière qui positionne le Québec comme un leader mondial de l’éthique en IA. Contrairement à d’autres régions où la course technologique prime parfois sur les considérations éthiques, le modèle québécois place l’humain au centre de sa réflexion.

Un peu plus loin de l’IA – mais pas tant que ça, finalement –, la SAQ nous a offert un exemple éloquent de l’utilisation sophistiquée des données pour transformer l’expérience client. Avec 1,9 million de membres actifs et 40 algorithmes dédiés, son programme Inspire capture 74 % des ventes et vise une personnalisation totale des offres. Cette approche data-driven rappelle les meilleures pratiques de géants comme Amazon ou Netflix, mais avec une touche québécoise distinctive. De même, l’outil Smart Persona développé par Plus Company Canada (Cossette), super intéressant au demeurant, illustre comment l’IA peut révolutionner la compréhension client. Comme l’expliquait Karine Courtemanche, cette technologie ne remplace pas l’humain mais amplifie ses capacités, permettant d’atteindre des segments de clientèle auparavant inaccessibles.

Vers un avenir de collaboration homme-machine

Sinon, Nicholas Morel de Google a souligné que l’intégration réussie de l’IA nécessite une révision complète des processus d’entreprise, pas de surprise ici, puisque, cette transformation profonde, les entreprises québécoises semblent l’avoir bien comprise, adoptant majoritairement une approche itérative et collaborative. De leur côté, NordFab et Avantis ont illustré cette philosophie en se concentrant sur l’adaptation aux besoins clients plutôt que sur la technologie pour elle-même. Une approche pragmatique, qui valorise autant les algorithmes traditionnels que l’IA générative, et témoigne d’une maturité remarquable.

Avec plus de 14 milliards de dollars d’investissements en recherche et développement annuels, le Québec s’impose comme un véritable laboratoire d’innovation. L’événement IMPACT IA a démontré que la province ne se contente pas de suivre les tendances mondiales, mais les façonne. À l’heure où l’IA redessine l’économie mondiale, le Québec ne se contente pas d’y participer, il montre la voie, conjuguant innovation technologique et valeurs humaines dans une symphonie harmonieuse qui pourrait bien, et pourquoi pas, inspirer le reste du monde.