Le génome en 3D : nouvelle frontière de la lutte contre le cancer

Par Nathalie Simon-Clerc, journaliste pour LES CONNECTEURS | Publié le 8 mai 2025
Comprendre le cancer ne passe plus seulement par le décryptage du génome, mais par l’étude de son organisation tridimensionnelle au cœur des cellules. En oncologie, cette nouvelle approche révèle l’importance des mutations génétiques sur la structure même de l’ADN et l’interaction entre ses gènes. Grâce à l’intelligence artificielle, les chercheurs accélèrent la découverte de ce langage complexe et ouvrent de nouvelles voies pour mieux diagnostiquer les cancers.
Mathieu Blanchette est un passionné. « La façon la plus intéressante de faire de l’informatique, c’est de s’intéresser aux problèmes les plus difficiles et les plus importants », explique le professeur et directeur de l’école d’informatique de l’Université McGill. Chercheur dans le domaine de la bio-informatique, il s’intéresse depuis 30 ans à la biologie génétique, et développe des approches en IA pour en interpréter les données.
« Pour un informaticien, le génome humain, qui est une séquence de trois milliards de caractères, est le plus beau programme informatique jamais écrit. »
En 2020, il est l’un des lauréats du concours « Données omiques contre le cancer », organisé par Génome Québec, l’Oncopole (pôle cancer du Fonds de recherche du Québec) et IVADO. Grâce à ce financement de 300 000 dollars, son projet sur les « approches en apprentissage profond pour comprendre les mécanismes d’altération épigénétique dans le cancer sur la base de la génomique tridimensionnelle » décolle.
« Pour un informaticien, le génome humain, qui est une séquence de trois milliards de caractères, est le plus beau programme informatique jamais écrit. Seulement, il n’est pas exécuté par un ordinateur, mais par des cellules », s’émerveille encore le chercheur.
Une séquence d’ADN tridimensionnelle

Si l’on déplie la séquence d’ADN d’une cellule, on obtient une bande d’environ deux mètres de long. Cette séquence est compactée pour tenir dans le noyau d’une cellule d’environ 10 microns. C’est là qu’intervient la génétique 3D, car le pliage doit être précis et organisé pour être efficace. « On peut prendre la séquence, en faire une boule, la rentrer dans le noyau et espérer que tout va fonctionner. Ce qui est intéressant pour l’informaticien que je suis, c’est que si le programme n’est pas replié de la bonne manière, des parties du génome ne pourront pas s’exprimer et remplir la fonction dont elles ont la charge », explique Mathieu Blanchette.
Toutes les cellules de notre corps contiennent la même séquence d’ADN. Pourtant, un neurone et une cellule de la peau ou de l’intestin effectuent des tâches très différentes. « C’est très intéressant parce que le même programme s’exécute de façon très différente d’un type de cellule à l’autre, et mène à des fonctions complètement différentes », remarque le chercheur. Les contacts, générés par le pliage, activent ou non les gènes qui rempliront ces fonctions.
L’impact des mutations génétiques sur le repliement en 3D du génome
Le principal objectif du projet mené par l’équipe de Mathieu Blanchette était d’analyser les effets d’une mutation génétique sur le repliement tridimensionnel du génome. « La plupart des cancers résultent de mutations, c’est-à-dire de modifications dans la séquence du génome, qui altèrent le fonctionnement normal d’un gène », explique le professeur.
Il étudie le cancer du cerveau observé chez les enfants, le glioblastome, très souvent causé par des mutations dans un gène particulier, soit l’histone, qui encode une protéine essentielle à l’organisation du repliement du génome en 3D.
Les mutations génétiques sont monnaie courante pour la plupart des humains; elles peuvent être sans conséquences, ou provoquer des maladies plus ou moins graves. La mutation génétique peut également avoir pour effet de modifier l’organisation 3D du génome dans la cellule. « Cette organisation-là est très importante parce qu’elle contrôle l’activation d’un gène donné à un moment donné; si l’organisation est modifiée, les conséquences peuvent en être dramatiques », commente Mathieu Blanchette.
L’intelligence artificielle décode le langage de l’ADN
Si l’utilisation d’ordinateurs et d’algorithmes classiques fut essentielle pendant des années dans le séquençage du génome, l’accumulation d’énormes quantités de données a rendu l’utilisation de l’IA indispensable, même si les deux approches continuent de travailler ensemble. « Depuis 5 ou 10 ans, les algorithmes classiques sont supplantés par des approches d’intelligence artificielle, plus flexibles, et qui permettent de faire ressortir des choses que les algorithmes classiques n’avaient pas réussi à faire jusqu’à présent », justifie le professeur de l’Université McGill.
L’équipe de Mathieu Blanchette a notamment accès aux nombreuses données du laboratoire de Nada Jabado, une « chercheuse-étoile en oncologie pédiatrique », professeure de pédiatrie à l’Université McGill.
L’intelligence artificielle peut analyser des milliards de données sur le repliement tridimensionnel du génome, provenant de tumeurs et de cellules saines, de différents cancers et de beaucoup de laboratoires, afin d’aider les chercheurs à établir des modèles d’interactions entre les structures de l’ADN. Le laboratoire de Nada Jabado a notamment identifié la même mutation au même endroit du même gène dans le génome des tumeurs prélevées chez un grand nombre d’enfants, cause probable du cancer.
Mais l’apport de l’IA ne s’arrête pas là; elle a appris, grâce aux énormes quantités génétiques absorbées, à décoder le langage des trois milliards de caractères de l’ADN. « L’IA nous permet de prédire les conséquences, bonnes ou mauvaises, d’un changement de nucléotide à un endroit donné », indique le professeur Blanchette.
Le scientifique estime que la compétitivité du Québec dans ce domaine est indéniable : « Grâce aux investissements stratégiques faits par la province, nous avons les meilleurs chercheurs au monde en génétique, en recherche sur le cancer et en intelligence artificielle. »