Économie
Le Canada face aux tarifs de Trump : la technologie comme levier politique

Le Canada face aux tarifs de Trump : la technologie comme levier politique

L’heure, grave, commande de rappeler au président Trump, face à l’annonce des tarifs de 25% qu’il a voulu imposer sur certains produits canadiens, dans cette guerre économique qu’il a lui-même déclarée, que le Canada est loin d’être le parasite dont il dépeint l’image de manière éhontée et propagandiste. Le Canada dispose en effet d’un atout de taille, qui profite également à ses alliés : son avance stratégique en innovation technologique. De l’informatique quantique à l’intelligence artificielle, en passant par les semi-conducteurs et la cybersécurité, le pays peut transformer ses forces en un levier d’influence pour amener Donald Trump à revoir sa position.

Un éditorial de Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS.

L’expertise du Québec : un atout technologique clé pour l’Amérique

Dois-je rappeler à M. Trump que l’expertise québécoise et canadienne en intelligence artificielle a grandement contribué au développement d’OpenAI et, plus largement, à l’écosystème américain de l’IA? Des figures clés comme Yoshua Bengio, pionnier de l’apprentissage profond basé à Montréal, ont influencé directement la recherche sur les réseaux de neurones et les architectures de modèles d’IA. Les travaux de Bengio et d’autres chercheurs canadiens ont jeté les bases des modèles transformeurs, qui sont au cœur de ChatGPT.

Le Canada, et en particulier le Québec, est un joueur incontournable dans plusieurs filières technologiques critiques pour les États-Unis. La Zone d’innovation (ZI) quantique de Sherbrooke et l’ordinateur quantique d’IBM à Bromont en sont des exemples frappants. Ce dernier, installé sur le territoire québécois, que j’ai pu voir de mes propres yeux lors de son dévoilement et diffuser dans une vidéo devenue vite virale sur le contesté TikTok, est l’un des rares systèmes de calcul quantique accessibles en Amérique du Nord. Il représente un enjeu stratégique pour l’ensemble du continent, notamment pour les entreprises américaines cherchant à exploiter cette technologie révolutionnaire.

80% des semi-conducteurs fabriqués aux États-Unis sont assemblés à l’usine d’IBM à Bromont, au Québec.

« Les installations du programme d’IBM (pour l’accueil du superordinateur quantique) à Bromont au Québec constituent un lieu d’expérimentation clé pour le marché nord-américain des semi-conducteurs », avait d’ailleurs insisté l’ex-président américain Joe Biden, à l’annonce en 2023 du renforcement de la capacité canadienne de fabrication de produits dans le domaine des semi-conducteurs pour l’essor du marché nord-américain, avec 36 millions de dollars investis dans Ranovus Inc.

Cette fin de semaine, à l’émission Tout le monde en parle, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada, François-Philippe Champagne, a rappelé que pas moins de 80% des semi-conducteurs fabriqués aux États-Unis étaient assemblés chez nous, à l’usine d’IBM à Bromont.

Si Trump souhaite sécuriser la domination américaine sur les technologies de rupture, il ne peut se permettre d’entraver la collaboration avec un pays qui détient un savoir-faire aussi avancé. En imposant des barrières commerciales, il risque au contraire de ralentir l’innovation au sein même de son propre pays, tout en poussant le Canada à renforcer ses partenariats avec l’Europe et l’Asie.

C’est pourquoi je m’autorise dans ce qui suit un plaidoyer pour la collaboration États-Unis – Canada en quantique. Ce domaine d’innovation, que j’ai couvert parmi tant d’autres, mais avec une admiration particulièrement marquée pour ce secteur au fil de mes années comme rédactrice en chef de CScience et maintenant de LES CONNECTEURS – magazine dont j’ai élaboré le concept il y a déjà 5 mois pour réduire la fracture scientifique – promet d’engendrer la « prochaine révolution », telle que la qualifie la nouvelle directrice générale de PINQ2, Marie-Claude Messier.

Joe Biden et François-Philippe Champagne (Photo : Réseaux sociaux) ; Yoshua Bengio (Photo : Chloé-Anne Touma, LES CONNECTEURS) ; François Legault coupe le ruban à l’inauguration de la Zone d’innovation quantique de Sherbrooke (Photo : Chloé-Anne Touma, LES CONNECTEURS)

Plaidoyer pour la collaboration États-Unis – Canada en quantique : une alliance stratégique incontournable

Monsieur le Président,

Les États-Unis ne peuvent pas se permettre de sous-estimer le rôle stratégique du Québec et du Canada dans l’innovation quantique. Loin d’être un simple voisin économique, le Canada est un allié technologique clé qui peut renforcer la position américaine dans la compétition mondiale pour la suprématie quantique.

1. Le Québec, une tête de pont pour la souveraineté technologique américaine

Les tensions économiques avec la Chine s’intensifient, et l’Europe renforce ses investissements en intelligence artificielle et en quantique. Dans ce contexte, couper les liens avec le Québec serait une erreur géopolitique majeure. La Zone d’innovation quantique de Sherbrooke et l’ordinateur d’IBM à Bromont ne sont pas de simples infrastructures locales : ils constituent un écosystème stratégique où les États-Unis ont déjà un pied. IBM y a investi pour une raison : le savoir-faire québécois en supraconductivité et en photonique est parmi les meilleurs au monde.

En fragilisant l’économie québécoise par des tarifs de 25%, vous risquez d’affaiblir un pôle d’innovation qui alimente directement la compétitivité américaine. Une approche intelligente consisterait à renforcer ces liens au lieu de les saboter.

2. S’allier à des cerveaux

L’Amérique s’est construite sur l’attraction des meilleurs talents mondiaux. Or, le Québec regorge de chercheurs spécialisés en technologies quantiques qui, faute d’opportunités économiques solides, pourraient se tourner exclusivement vers l’Europe, où la France et l’Allemagne investissent massivement – en sachant que plusieurs entreprises françaises solidifient leur partenariat en quantique avec le Québec -, ou encore vers la Chine, alors que jusqu’ici, le Canada suivait les États-Unis dans la gestion de plusieurs dossiers de sécurité nationale quant à l’attitude à adopter avec les géants technologiques chinois.

Voulez-vous voir les scientifiques du Québec contribuer à l’essor technologique chinois, simplement parce que les États-Unis auront choisi le protectionnisme au lieu de l’alliance? Une coopération stratégique avec le Québec garantirait aux États-Unis un accès privilégié à ces talents et empêcherait les compétiteurs de combler ce vide.

3. Une production locale pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement

Pourquoi affaiblir le Québec, qui possède une expertise clé en fabrication de composants critiques pour l’informatique quantique? IBM Bromont est l’un des rares sites capables d’assembler et de tester des composants avancés nécessaires aux supercalculateurs de demain.

Plutôt que d’ériger des barrières commerciales, une intégration plus forte entre les écosystèmes québécois et américains pourrait renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement nord-américaines face aux risques géopolitiques en Asie.

4. À défaut d’incarner la vraie menace, le Canada développe des solutions de cryptographie post-quantique

Monsieur le Président, vos instincts protectionnistes visent peut-être à protéger votre pays, mais ils risquent surtout de l’isoler. Le véritable rival économique et technologique des États-Unis, c’est la Chine, qui investit des milliards dans le quantique avec pour objectif de dominer les télécommunications, la cybersécurité et l’informatique avancée. L’émergence de DeepSeek dans le marché de l’IA générative aura été une démonstration des retombées chamboulantes que peut avoir l’innovation chinoise sur vos repères économiques.

Le Canada, et plus particulièrement le Québec, n’était pas un adversaire, mais un atout stratégique. Avec l’émergence de l’informatique quantique, les enjeux liés à la cybersécurité deviennent cruciaux. Le Québec travaille sur des solutions de cryptographie post-quantique, qui pourraient bénéficier aux États-Unis en renforçant la sécurité des données à travers les frontières, tel que nous l’indiquait Sarah Jenna, directrice générale du Quantum Venture Studio, à l’inauguration de la ZI il y a un an. Une collaboration dans ce domaine peut aider à protéger les infrastructures critiques des deux pays. En tissant des alliances avec leur écosystème quantique, les États-Unis peuvent consolider leur avance face à la Chine, au lieu de lui laisser un boulevard.

Une opportunité

En fragilisant le Québec et le reste du Canada, vous affaiblissez vos propres alliés et ouvrez la porte à vos adversaires. Au contraire, en renforçant la collaboration avec les Canadiens, vous garantissez aux États-Unis une place de leader dans la prochaine révolution technologique.

Publié le 3 février 2025.