L’IA en entreprise : un potentiel sous-utilisé

Par Maximilien Martin Briat, chroniqueur pour LES CONNECTEURS, et conseiller principal aux Affaires et Partenariats du CRIM | Publié le 17 septembre 2025


Statistiques Canada l’a confirmé : au deuxième trimestre de 2025, 12,2 % des entreprises canadiennes déclaraient avoir utilisé l’IA pour produire des biens ou fournir des services au cours des 12 mois précédents. C’est le double du taux observé un an plus tôt (6,1 %). À première vue, cette progression est impressionnante. Le chiffre peut toutefois s’analyser autrement : au Canada, près de 88 % des entreprises n’ont toujours pas intégré pleinement l’IA à leurs opérations.

Cette lenteur interroge. Car si le Canada brille en recherche et en innovation, avec ses experts, ses idées et ses technologies de pointe, nous accusons un certain retard dans l’adoption concrète de ces outils. 

Pourquoi? Est-ce un manque de confiance envers les systèmes? Une question d’éducation et de formation? Ou encore une question de taille : les grandes entreprises étant mieux outillées que les PME et les travailleurs autonomes pour investir dans l’IA?

La différence est frappante quand on compare l’usage corporatif et l’usage individuel. Selon une étude relayée par Forbes en France en juillet dernier, 66 % des personnes utilisent régulièrement des outils d’IA dans leur vie personnelle. Que ce soit pour rédiger, traduire, chercher de l’information ou créer des images, l’IA est déjà entrée dans les habitudes de millions d’usagers. Les individus avancent vite, mais les entreprises, elles, ne savent pas par où commencer.

« Chaque mois de retard dans l’adoption des outils d’IA est aussi un mois où l’écart de productivité et de compétitivité se creuse pour le Québec, le Canada et à l’international. »

Or, l’IA ne vise pas à remplacer l’humain, mais à l’outiller : automatiser des tâches manuelles, accélérer des processus répétitifs, réduire les délais de traitement, et de façon ultime, permettre aux employés de se concentrer sur des tâches à valeur ajoutée. 

Chaque mois de retard dans l’adoption des outils d’IA est aussi un mois où l’écart de productivité et de compétitivité se creuse pour le Québec, le Canada et à l’international. Ces hésitations d’intégration et d’investissement ont des conséquences directes sur l’amélioration de la productivité. 

Mais intégrer l’IA ne se fait pas aveuglément et facilement, malgré sa facilité d’accès mise de l’avant en premier par OpenAI. Cela demande des compétences spécifiques. La première d’entre elles, paradoxalement, n’est pas technique : c’est l’esprit critique. Les systèmes d’IA produisent des résultats souvent fluides et convaincants, mais pas toujours exacts. L’utilisateur doit donc apprendre à remettre en question, vérifier, contextualiser.

Pour les organisations, le défi est double : former leurs équipes et encadrer l’usage. Cela passe par la mise en place de comités internes sur l’intelligence artificielle, rassemblant des profils variés (RH, opérations, TI, affaires) pour identifier les cas d’usage, évaluer les risques et bâtir une culture commune. D’ailleurs, la Loi 25, qui encadre la gestion des données personnelles au Québec, oblige déjà les entreprises à réfléchir sérieusement des données personnelles, en mettant en place des comités responsables. 

Entre les 12 % d’entreprises qui expérimentent l’IA et les 66 % d’individus qui l’utilisent déjà, un fossé se creuse. Or, l’avenir ne se jouera pas seulement sur la capacité à développer de nouveaux modèles d’IA, mais bien sur l’aptitude à les intégrer intelligemment dans nos entreprises, nos métiers et nos pratiques quotidiennes. C’est là que se jouera la vraie course à la compétitivité, sans pour autant remplacer nos expertises métiers et notre humanité.


Pour plus d’articles sur le sujet, consultez le dernier numéro du magazine LES CONNECTEURS, consacré au travail