Les femmes en pleine reconquête du numérique

Elsa Tannous aborde la Journée de la Femme numérique, qui a lieu le 23 octobre à Laval

Par Stéphane Desjardins, journaliste, LES CONNECTEURS | Publié le 23 octobre 2025

L’industrie numérique est encore un boy’s club. Plus pour longtemps.

La photo en noir et blanc de 1969 circule sur le web depuis des années: celle d’une jeune ingénieure de la NASA, Margaret Hamilton, debout, tenant une pile de cartables aussi haute qu’elle: c’est son code qui a servi au guidage des missions lunaires Apollo. Un code si parfait qu’aucun bogue n’est survenu durant toutes les missions Apollo. La jeune maman dirigeait l’équipe logicielle du programme informatique le plus sophistiqué de son époque.

Crédit photo : Margaret Hamilton pose avec le code source du logiciel Apollo, 1969. NASA, domaine public.

En 2016, Hidden Figures, un film de Theodore Melfi, mettant en vedette Janelle Monáe, Kirsten Dunst et Kevin Costner, illustre le parcours méconnu des mathématiciennes afro-américaines impliquées dans la course à l’espace, au sein de la NASA, symbole de la Guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique dans les années 1960. Leur titre professionnel? Computer.

On constate aujourd’hui que la tech n’a pas toujours été aussi aussi masculine. Pourtant, les exploits des femmes qui y ont œuvré sont occultés. Les vedettes féminines de la tech se font rares, même ici. Or, le numérique est un secteur important de l’économie des pays riches. La tech québécoise pèse lourd: tous secteurs confondus, elle employait 257 000 professionnels en 2024, selon Techno Compétences.

Du lot, les Québécoises occupaient 65 000 emplois en TI en 2024, soit 25 000 de plus qu’en 2006. On serait porté à croire que c’est encourageant, mais le nombre de postes occupés par des hommes croît encore plus rapidement.

En mai 2024, les femmes occupaient 25% des emplois de la tech québécoise. La proportion est la même dans les postes de direction d’entreprises techno (24,2%), de scientifique, d’administratrices des données et d’évaluatrices de systèmes (autour de 23%). Dans certains domaines, la proportion féminine est plus élevée: spécialiste de systèmes commerciaux (39%), conceptrices web (34%), design graphique (33%) et rédactrice technique (57%).

En mai 2024, les femmes occupaient 25% des emplois de la tech québécoise.

« Les femmes représentent la moitié de la population, cette proportion devrait être la même dans la tech, souligne Elsa Tannous, fondatrice de DigiWomen, et présidente de Tannous HR Solutions, une firme de recrutement en TI. Or, entre 9% et 11% des femmes en tech accèdent à des postes en leadership. C’est insuffisant. »

Le rôle de l’école

Le problème se situe avant tout à l’école: les filles sont moins attirées par la tech que par d’autres industries. Un constat unanime chez les experts.

Le phénomène se manifeste de l’école primaire à l’université. En informatique, les femmes ne représentent que 20% de la communauté universitaire, selon la revue Gestion. « On constatait le même problème en médecine il y a 15 ans, reprend Elsa Tannous. Or, les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans ces programmes universitaires. Il faut faire un effort pour la tech. »

Cette dernière fait la tournée des écoles et constate que, chez les petites filles, la réponse est excellente. « Dès 8 ans, on sent leur intérêt, insiste-t-elle. On plante des graines qui permettront à des carrières de fleurir plus tard, et on lutte contre des biais anciens. Car, historiquement, on a relégué les femmes à leur rôle de mère. Au fil des ans, on a répété que la tech, ce n’est pas un métier de fille. On brise aujourd’hui ce cycle. Je suis optimiste, parce que le monde scolaire va dans cette direction. Et les employeurs se dotent de stratégies inclusives de recrutement et de rétention des talents féminins. »

Elsa Tannous révèle que les employeurs en tech cherchent activement des candidates. « Je rencontre continuellement des femmes qui ne se destinaient pas à cet univers et qui adorent leur carrière, ajoute-t-elle. Je sens un virage dans le monde scolaire, qui se répercute bien plus tard. »

Elle a d’ailleurs créé le programme « J’ose la tech » qui fait appel à des bots conversationnels qui amènent garçons et filles à travailler ensemble et à développer une sensibilité envers l’inclusion.

Journée de la Femme Numérique

L’entrepreneure a aussi créé la première Journée de la Femme Numérique (JFN), un salon de l’emploi en TI signé par DigiWomen, réservé aux femmes qui se tiendra aujourd’hui à Laval, de 10h00 à 16h00. Son équipe y attend plus de 200 participantes, qui viendront rencontrer des employeurs comme Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et placement, CGO, Alithia, Metro, la Banque nationale, Moment Factory, Nexus Innovations, etc.

Plusieurs conférences et ateliers portant sur l’intelligence artificielle, la cybersécurité, les jeux vidéo ou la manière de mousser sa carrière en TI, seront proposés par des vedettes féminines de la tech québécoise. La JFN comprend aussi un concours de pitch permettant à une entrepreneure de proposer leur idée innovante devant jury: la gagnante repartira avec une bourse de 1000$.

La journée se termine par un cocktail axé sur le réseautage, avec un panel animé par Michelle Camara, experte en diversité.

« Même si la tech est encore considérée comme une industrie de gars, je sens réellement le vent tourner », conclut Elsa Tannous.

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