Comment la technologie peut-elle contribuer à renforcer la sécurité routière? 

Reportage de Gabrielle Anctil | Publié le 22 mai 2025, et paru initialement dans le numéro du 13 mai 2025


Après une décennie d’amélioration, le bilan routier, au Québec, se dégrade. Comment la technologie peut-elle contribuer à renverser la tendance?

« Au niveau des décès, on revient dix ans en arrière », se désolait un représentant de CAA-Québec, en entrevue avec La Presse en 2023, commentant une nouvelle année où les routes de la province avaient été particulièrement meurtrières. Distractions, fatigue, drogue et alcool au volant, puis non-respect du code de la sécurité routière sont notamment énumérées comme principales causes des décès routiers.

Ce bilan sombre a interpellé Ghyslain Gagnon, professeur au département de génie électrique à l’École de technologie supérieure (ÉTS). Chercheur spécialisé en systèmes intelligents électroniques, il collabore notamment sur un projet visant à détecter la somnolence au volant. « Nos recherches nous ont amenés à proposer un colloque au congrès de l’Acfas sur les technologies liées à la sécurité routière au cours duquel nous pourrions inviter d’autres experts qui ont des projets de recherche connexes », explique-t-il.

Tout le monde sur le pont!

Pour le chercheur, ce colloque est notamment une occasion de rassembler des experts de domaines complémentaires, dont l’apport à la conception de solutions technologiques est essentiel : « on a un panel dédié aux considérations sociales et légales, à l’aspect plus humain de l’adoption des technologies. C’est un volet qu’on a parfois tendance à laisser de côté. Or, s’il n’est pas réfléchi dès le départ, comment s’assurer que l’outil sera accepté par l’utilisateur? Dans ce domaine, l’humain est au centre de la technologie. »

« En Europe, il existe déjà des systèmes où l’on peut détecter la fatigue à l’aide de caméras pointées sur le conducteur, en permanence. »

Pour appuyer son propos, il évoque ses propres recherches sur la détection de la somnolence en guise d’exemple. « En Europe, il existe déjà des systèmes où l’on peut détecter la fatigue à l’aide de caméras pointées sur le conducteur, en permanence », illustre-il, notant les enjeux de vie privée liés à cette surveillance en continu. « Dans notre cas, on collecte des informations comme le rythme cardiaque. Mais que fait-on si l’on détecte que la personne a une maladie cardiaque? » Puisque la technologie sur laquelle il travaille est conçue pour être déployée auprès des conducteurs de camions lourds, les données perçues pourraient en théorie être partagées avec des employeurs. Ces derniers pourraient-ils s’en servir au détriment des employés? « On n’a pas les réponses, c’est pourquoi on s’entoure de gens qui ont l’expertise pour y réfléchir. »

Il demeure que ce type de recherche offre aussi des opportunités précieuses. Les capteurs conçus par Ghyslain Gagnon et ses collègues permettent par exemple de mesurer le rythme cardiaque et la respiration d’un individu dès qu’il s’assoit dans le siège de voiture. « Des études démontrent qu’avec ces deux éléments, on est en mesure de détecter les signes de somnolence avant même que la personne ne s’en rende compte. » Selon la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), entre 2018 et 2022, la fatigue au volant a été en cause dans 24 % des collisions mortelles sur les routes. Combien de vies un système comme celui qu’il développe permettra-t-il de sauver?

L’avenir de la roue

Bien d’autres technologies ont été présentées lors du colloque, ayant débuté avec un état des lieux par le journaliste automobile Benoit Charette. « Il y a beaucoup de choses qui sont déjà déployées ailleurs, en Europe notamment, mais qui ne sont pas encore présentes ici, donc on ne sait même pas que ça existe », souligne le professeur.

« Même dans les véhicules qui ne sont pas 100 % autonomes, on serait surpris de voir la quantité d’aides à la conduite qu’on peut trouver dans les voitures récentes. »

Une seconde présentation a fait le point sur les outils d’intelligence artificielle dans les véhicules, autonomes ou non. Si les yeux se tournent vers des villes comme San Francisco ou Phoenix, où les taxis autonomes de Waymo ne font même plus sourciller, pour Ghyslain Gagnon, de nombreuses autres innovations méritent elles aussi notre attention: « Même dans les véhicules qui ne sont pas 100 % autonomes, on serait surpris de voir la quantité d’aides à la conduite qu’on peut trouver dans les voitures récentes. »

Les « petits véhicules » comme les trottinettes ou les vélos ne sont pas en reste. Pensons notamment aux travaux d’Yvan Petit, professeur à l’ÉTS. « Il s’intéresse à la biomécanique de ces usagers, résume Ghyslain Gagnon. Son but est de comprendre la protection idéale pour ces usagers, grâce à des outils de modélisation. On ne veut pas attendre qu’il y ait eu des centaines de blessés ou de morts pour comprendre à quoi ressemble la meilleure protection! »

Il est désormais bien documenté que des solutions plus systémiques devront être implantées pour sécuriser durablement les routes de la province. Réductions de vitesse, diminution de la taille des véhicules, voire carrément remplacement de la voiture par des moyens de transports collectifs ou actifs – toutes ces solutions font partie d’un avenir sans décès. Il demeure que les innovations technologiques ont un rôle à jouer. « Il y a des fonctionnalités auxquelles nous sommes désormais habitués », rappelle le chercheur, citant les freins ABS, les systèmes de freinage d’urgence et même les coussins gonflables. Il compte bien continuer à contribuer à façonner un avenir plus sécuritaire, un capteur à la fois.


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