Badge AI : une norme volontaire créée par Philippe Bourque pour identifier le contenu artificiel

Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef | Publié le 13 septembre 2025


Philippe Bourque, une figure singulière naviguant avec aisance entre les mondes de l’art et de la technologie, propose Badge AI, son initiative novatrice, et soulève des questions cruciales sur l’avenir de la création à l’ère de l’intelligence artificielle. En marge des débats sur l’usage de l’IA générative en création, et de la polémique entourant la campagne promotionnelle du Festival d’été de Québec, pour laquelle l’agence Cossette a proposé des visuels générés artificiellement, Badge AI apparaît comme une réponse au besoin de transparence, une norme volontaire que toute entreprise intégrant la création assistée ou signée par l’IA peut choisir d’adopter afin de communiquer la portion artificielle de ses contenus auprès de son audience ou de sa clientèle.

Extrait vidéo de l’entrevue

Philippe Bourque : un carrefour d’expertises

Philippe Bourque se décrit comme étant à l’intersection de plusieurs pôles. Artiste professionnel, auteur-compositeur-interprète et producteur de musique ayant de nombreux albums à son actif, il est également ingénieur informatique de formation, ayant œuvré dans les hautes technologies et contribué à l’architecture de l’identité numérique du Québec. Entrepreneur à la tête de sa propre boîte, Cérébrum, il agit comme consultant numérique, aidant les organisations à « penser en dehors de la boîte ». En tant que chercheur indépendant, il met à profit son expérience terrain pour anticiper l’avenir. Cette polyvalence lui permet d’apporter un point de vue souvent différent et de croiser ses expériences pour identifier des besoins, comme celui qui a mené à Badge AI.

Badge AI : L’urgence de la transparence

BadgeAI.org

L’idée de Badge AI a germé suite à une expérimentation éditoriale au printemps dernier : un album francophone coréalisé avec l’intelligence artificielle pour l’artiste Insuula. « Le constat a été frappant, décrit Philippe. Bien que l’album ait été apprécié, le public s’est senti ‘berné’ en apprenant l’implication de l’IA générative dans la musique. » Ce projet a révélé un manque criant de normes pour identifier l’usage de l’IA dans les contenus.

Face à l’incapacité de « distinguer le vrai du faux » sur de nombreuses plateformes, Badge AI se présente comme un outil d’autodéclaration simple et volontaire. Il repose sur trois catégories – Son (S), Visuel (V), et Texte (T) – et une échelle allant de l’absence totale d’IA à une utilisation intensive. Un contenu 100% humain est « S-AI-0 • V-AI-0 • T-AI-0 », tandis qu’un niveau T-AI-1, par exemple, pourrait indiquer une correction mineure du texte par IA, et un T-AI-2, une collaboration plus poussée.

L’objectif est clair : la transparence est « déterminante » pour le public afin qu’il ne se sente pas trompé. L’outil, disponible sur badgeai.org, permet de générer un simple code textuel ou des boutons visuels pour communiquer l’ampleur de l’IA utilisée dans un projet.

Souveraineté numérique et résistance culturelle

Au-delà de la transparence, Philippe Bourque soulève des préoccupations plus vastes. Il critique vivement les modèles commerciaux actuels d’IA générative, qu’il qualifie de « bandits » ou de « barbares numériques », car ils ne respectent pas la propriété intellectuelle ni le droit d’auteur. Pour lui, l’IA générative est en passe de devenir une « utilité publique », et il est impératif de se demander si nous voulons en être « propriétaire ou locataire ».

Les leviers pour une IA éthique et respectueuse sont avant tout politiques. Il rappelle que des solutions étatiques se mettent en place, notamment en Suisse, en France et à Singapour. Ignorer le travail des artistes pour « créer des machines à publier des trucs automatiquement sur LinkedIn », par exemple, est selon lui inacceptable. L’affaire des visuels du Festival d’été de Québec, où l’usage non déclaré de l’IA a suscité un tollé, illustre parfaitement ce besoin de transparence, alors que les éditions précédentes de ce grand événement avaient habitué la population québécoise à la mise en valeur d’artistes d’ici et à part entière.

« Je cite Luc De Larochellière : ‘La culture prend la place qu’on lui donne’ » – Philippe Bourque

Philippe Bourque met en garde contre la « colonisation numérique » et le biais idéologique des modèles commerciaux américains, qui risquent de « jouer dans l’esprit des gens » et leur « indépendance d’esprit ». Il exhorte les artistes, même indépendants, à refuser d’embarquer dans des modèles qui leur « volent » leur travail et ne respectent pas leurs droits. Il prône la création d’infrastructures locales et souveraines qui respectent le droit d’auteur, même si elles sont moins « performantes ».

« Je cite Luc De Larochellière : ‘La culture prend la place qu’on lui donne’ », d’ajouter Philippe. Il est donc essentiel de « résister » et de « combattre » pour la création de plateformes souveraines qui rémunèrent équitablement les créateurs. Le Québec, avec ses cerveaux, ses universités, son électricité verte et ses infrastructures, a la capacité de le faire, pense l’ingénieur-entrepreneur-artiste. L’appel est lancé : chaque individu peut contribuer à ce mouvement en s’éduquant sur les impacts de l’IA et en faisant des choix conscients.


Initialement paru dans le numéro 21 du magazine LES CONNECTEURS