Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS | Publié le 21 octobre 2025
Le livre « Génération écrans » de Mélissa Canseliet, édité chez Michel Lafon, est une œuvre hybride entre essai scientifique et manifeste social, à la croisée des neurosciences, de la pédagogie et de la cyberpsychologie. Accessible, et plus pertinent que jamais, l’outil nous guide entre statistiques, définitions, analogies et constats empreints de vérité, pour nous faire réfléchir au rapport qu’entretient cette « génération » avec les « écrans », mais surtout, au rôle que doit y jouer une société qui, en matière d’éducation numérique, « n’en fait pas du tout ; (…) n’en fait pas assez ; et, dans tous les cas, (…) ne le fait jamais assez tôt ». Porté par une plume claire et sensible, il s’impose comme une lecture essentielle pour quiconque cherche à comprendre l’impact du numérique sur les jeunes cerveaux – et, par extension, sur toute une génération en formation.
« Les jeunes de 8 à 18 ans passent en moyenne entre six et huit heures par jour devant les écrans à des fins récréatives, et dès 13 ans, près de 80 % de ce temps est consacré aux réseaux sociaux. »
Dès les premières pages, Mélissa Canseliet expose le paradoxe le plus troublant de notre époque : nous ne laisserions pas nos enfants traverser seuls une rue fréquentée, mais nous les laissons naviguer sans guide dans le monde numérique, pourtant tout aussi dangereux. S’appuyant sur son expertise en neurosciences et en psychologie cognitive, elle démontre comment la plasticité cérébrale des jeunes rend leur attention, leurs émotions et leur estime de soi particulièrement vulnérables aux stimuli digitaux. Les notifications, le défilement infini, la quête de likes : autant de leviers d’une économie de l’attention qui exploite nos failles les plus biologiques.
« Le cerveau peut être schématiquement divisé en trois grands systèmes : le cerveau reptilien (instincts, survie, consommant peu d’énergie, sans accès par la conscience), le cerveau limbique (émotions, mémoire accès conscient partiel et sans contrôle, consommation relativement faible en énergie), et le cortex (raison, langage, conscience, grosse consommation d’énergie). Face aux sollicitations numériques, ces systèmes s’activent parfois de façon déséquilibrée. Une notification, un contenu choquant ou un like inattendu peuvent engendrer des réactions instinctives ou émotionnelles, court-circuitant la réflexion. Chez les jeunes, cette hiérarchie est encore en construction, rendant leur autorégulation plus difficile. »
Ce qui distingue « Génération écrans » des autres essais sur la techno-dépendance, c’est la double posture de son autrice : chercheuse et mère. Ce point de vue incarné confère au livre une humanité rare. Mélissa Canseliet ne diabolise pas les écrans ; elle les décode. Comme Stéphane Ricoul dans « Vos clics, leur cash », elle ne se contente pas d’un réquisitoire, mais propose une réflexion systémique et constructive : comprendre comment les algorithmes exploitent notre cerveau pour mieux s’en libérer.
L’ouvrage déploie trois axes forts : le cerveau en développement, le rôle parental, et les leviers collectifs que sont l’école et les politiques publiques. Mélissa Canseliet plaide pour une « littératie numérique » intégrée aux programmes scolaires, et pour une éducation qui ne se limite pas à restreindre les écrans mais apprend à les traverser lucidement, dès la petite enfance. Elle y voit une urgence démocratique : sans conscience numérique, pas de citoyens libres à l’ère algorithmique.
Chaque chapitre conjugue vulgarisation et pédagogie, statistiques et récits, références scientifiques et métaphores parlantes. L’autrice sait traduire la complexité neurologique en une poétique de la vigilance. La conclusion, intitulée « Un futur numérique neuro-éclairé », laisse le lecteur à la fois informé et inspiré : comprendre nos cerveaux est notre meilleure défense face à ceux qui cherchent à les exploiter.
En somme, « Génération écrans » est bien plus qu’un simple manuel sur la gestion du temps d’écran ; c’est une véritable plongée dans les mécanismes neuroscientifiques et psychologiques qui rendent les enfants et adolescents vulnérables à l’attrait des interfaces numériques. Avec un souci constant d’équilibre entre rigueur scientifique et humanité, Mélissa Canseliet offre des pistes concrètes aux parents et éducateurs pour accompagner les jeunes vers une consommation numérique éclairée et responsable. Ce livre se présente comme un guide indispensable pour comprendre la réalité du cerveau en développement face au numérique et, surtout, pour apprendre à poser des cadres bienveillants et efficaces, qui allient protection et autonomie. Plus qu’une alerte, c’est un appel à une éducation numérique consciente, qui prépare et protège les générations futures.
