Nouvelles tech, nouveaux défis au travail : certains s’adaptent plus vite que d’autres
Éditorial de Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS | Publié le 15 septembre 2025
Le Québec vient de se doter d’un cadre de référence pour guider l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’enseignement supérieur. Fruit d’une vaste concertation nationale, ce document fixe cinq principes : accessibilité, équité, humanisme, responsabilité et transparence. Sur papier, une boussole pour éviter que l’IA ne se substitue aux humains, ne creuse les inégalités ou ne devienne une boîte noire opaque. Mais derrière les beaux énoncés, une question demeure : la prudence affichée au collège et à l’université trouvera-t-elle son écho dans le monde du travail?
Car pendant que le milieu académique trace des garde-fous, les entreprises, elles, se débattent entre promesses d’efficacité et dérives potentielles. L’IA s’installe dans les processus, souvent plus vite qu’on ne l’encadre. Elle devient tantôt moteur d’innovation, tantôt générateur de biais, de surconsommation énergétique et d’abus éthiques.
L’IA s’installe dans les processus, souvent plus vite qu’on ne l’encadre. Elle devient tantôt moteur d’innovation, tantôt générateur de biais, de surconsommation énergétique et d’abus éthiques. C’est dans cet entre-deux que nous avons choisi d’ancrer le dernier numéro du magazine LES CONNECTEURS, consacré aux nouvelles formes de travail et à la technologie.
OpenAI vient d’annoncer le lancement d’une plateforme d’emploi baptisée « OpenAI Jobs Platform », avec pour objectif de transformer la mise en relation entre entreprises et candidats à l’ère de l’intelligence artificielle. Ce service, qui devrait être opérationnel d’ici mi-2026, s’impose comme un concurrent direct de LinkedIn, en proposant aux recruteurs d’accéder à des talents spécialisés en IA à tous les niveaux, et aux travailleurs de valoriser leurs compétences au sein d’un marché en forte mutation. Selon Fidji Simo, directrice applications chez OpenAI, la plateforme intégrera une dimension spécifique pour accompagner les PME et les collectivités locales, leur permettant de rester compétitives et d’identifier les expertises nécessaires pour améliorer leurs services…
Mais le lancement de la plateforme d’emploi OpenAI accélère la transformation du marché du travail déjà secoué par l’IA. Sous couvert d’aider les entreprises et les candidats, OpenAI ne fait qu’accentuer l’automatisation des métiers : plus on valorise les compétences en IA, plus l’humain risque d’être remplacé par des agents virtuels, surtout au moment du recrutement. Derrière l’innovation se cache une stratégie de domination du marché, qui standardise les recrutements, collecte des données et favorise ses propres outils, sans régler la perte des emplois traditionnels. OpenAI promet d’ouvrir de nouvelles opportunités, mais ce mouvement interroge sur la justice sociale et l’équilibre entre progrès technologique et précarisation de millions de travailleurs.
Les transformations du travail et nos capacités d’adaptation
Pour aborder ces réalités, notre premier dossier explore comment travailleurs et organisations s’adaptent aux réalités numériques émergentes. Une mutation qui n’est pas neutre : selon le Rapport de bonheur au travail d’ADP Canada, de mai à juin, le Québec a chuté de la 2e à la 3e position au pays avec un score de 6,8/10. Près de la moitié des travailleurs (47 %) jugent que l’encouragement à réellement décrocher pendant les vacances est l’une des initiatives les plus marquantes pour leur bien-être.
Le numérique, on le voit, rend la déconnexion plus difficile, mais il ouvre aussi la voie à des gains de productivité considérables. Lorsqu’elle est mise à bon escient, l’IA peut améliorer l’efficacité, alléger les tâches répétitives et libérer du temps pour des missions à plus forte valeur humaine. Refuser ces avancées serait tout aussi dommageable que d’en faire un usage irréfléchi. Le vrai risque se situe peut-être ailleurs : dans les fractures numériques qui persistent entre entreprises bien outillées et celles qui tardent à s’équiper, entre travailleurs formés et ceux qui manquent encore de littératie numérique. Autant d’inégalités qui risquent de se creuser si l’adoption se fait à deux vitesses.
L’adoption de l’IA en entreprise
Le deuxième dossier plonge dans l’IA en entreprise. Vous y lirez des textes qui célèbrent ses apports — gain de productivité, automatisation, analyse prédictive — mais aussi des mises en garde contre son adoption précipitée, sans encadrement suffisant.
Au menu : analyses, conseils et recommandations en matière de déconnexion, d’IA et de cybersécurité pour mieux faire face aux réalités qui s’imposent aux employeurs et salariés.
Des usages controversés en création publicitaire
Enfin, notre troisième dossier met en lumière les usages controversés de l’IA en marketing. Le scandale récent entourant l’Agence Cossette et le Festival d’été de Québec illustre jusqu’où la créativité assistée par algorithmes peut glisser vers le faux pas, soulevant la question de la confiance du public face à ces nouvelles pratiques.
Nous vous y présentons également l’innovation sociale de Philippe Bourque, ingénieur et musicien, qui propose une façon simple et volontaire d’identifier le contenu artificiel, en l’absence d’une certification officielle et de mesures universelles pour « normer » les produits de l’IA générative.
Dans ces pages, nos journalistes et chroniqueurs ont croisé regards enthousiastes et voix critiques, afin de livrer une vision nuancée. L’IA et les technologies ne sont pas une fin en soi : elles sont des outils. Encore faut-il savoir à quoi, et surtout à qui, elles servent.