La sobriété numérique : un projet collectif pour repenser nos pratiques technologiques
Si le Québec s’impose de plus en plus comme un leader en matière d’intelligence artificielle, d’éthique et d’encadrement de l’innovation technologique sur la scène internationale, ce qu’il manque à la province, c’est « du leadership » et « un projet de société » en matière de sobriété numérique. Cette dernière ne se limite pas à moins d’écrans ; c’est une approche globale visant à repenser nos pratiques de travail, de codage, de stockage, de connexion, ainsi que la fabrication, la distribution, l’utilisation, la réparation et le recyclage de tout ce qui touche au numérique. Une transition qui passera forcément par un changement de culture et de pratiques collectives, par de la formation, une économie circulaire, mais aussi par des régulations et par une plus forte souveraineté numérique, pensent les invités de Chloé-Anne Touma dans cette capsule spéciale de LES CONNECTEURS, propulsée par TechnoCompétences.
« L’objectif est de réduire notre consommation informatique pour le bien de l’environnement », explique François Marchal, président-directeur général de l’Association Québécoise des Informaticiennes et Informaticiens Indépendants (AQIII), mais aussi pour le bien de la santé mentale, en utilisant moins de ressources tout en restant efficace, complète Josiane Stratis, stratège en communication marketing à TechnoCompétences.
Les enjeux sont multiples. La production d’une image avec ChatGPT, par exemple, consomme l’équivalent de la charge complète d’un cellulaire, illustre le directeur général de La Fusée, Mathieu Halle. Notre dépendance aux solutions technologiques des géants américains est « l’éléphant dans la pièce », soutient Joëlle Tremblay, directrice générale de TechnoCompétences par intérim. Au Québec, il manque un leadership fort pour initier cette conversation et des régulations, normes et lois sont nécessaires pour « lever le plancher » et toucher les 99 % des entreprises et organisations qui ne sont pas encore sensibilisées, estime François Burra, cofondateur du Collectif numérique responsable et soutenable.
« Actuellement, l’éléphant dans la pièce, c’est notre dépendance aux solutions technologiques qui nous viennent des géants qui sont presque tous aux États-unis » – Joëlle Tremblay
La littératie numérique est également un défi majeur, car tout en découle. « Moins de 50 % des Québécois sont en mesure de lire et d’analyser un document », rapporte Jean Lortie, président de la Commission des partenaires du marché du travail.
Pour avancer, il est crucial de se poser les bonnes questions : pourquoi consommons-nous tant de numérique? Quel est l’impact de cette consommation sur l’environnement? Sur notre santé mentale? À l’échelle individuelle, la sobriété numérique implique de faire des choix conscients, de se demander « en as-tu vraiment besoin? », de réduire son temps d’écran, de faire le ménage de ses courriels et de réparer ses vieux appareils, synthétisent Josiane Stratis et Mathieu Halle.
Pour les organisations, des pratiques comme la diminution du nombre d’outils et l’adoption de l’hygiène numérique (nettoyage des données obsolètes pour réduire les coûts d’infonuagiques et simplifier les applications) sont encouragées. Enfin, l’intelligence artificielle est un outil à double tranchant, pense Françoys Labonté, directeur général du Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM) : elle peut générer des recommandations mais consomme beaucoup d’énergie. S’il est difficile aujourd’hui de voir en l’IA une alliée pour la sobriété numérique, penser qu’en favorisant le développement d’IA dites « frugales », qui seraient de moins grandes consommatrices ou « gaspilleuses » d’énergie, et qui pourraient aider à prendre de meilleures décisions en contexte pro-environnemental, n’est pas complètement utopique.
« Il faut garder un regard critique et utiliser les outils d’intelligence artificielle quand ils sont réellement nécessaires », amène Josiane Stratis, qui nuance malgré tout l’important de ne pas tomber dans les excès et discours extrêmes, comme elle a pu en voir émerger dans le débat entourant la création de « starter packs » (emballages de figurines) générés avec de l’IA. La sobriété numérique est avant tout un projet collectif et une opportunité pour le Québec de montrer l’exemple, conclut Joelle Tremblay.
