Valentine Goddard : résister aux menaces de l’IA en misant sur l’intelligence humaine
Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS | Publié le 17 avril 2025
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Valentine Goddard est à la fois avocate, artiste, stratège de l’impact social, médiatrice certifiée et commissaire inter-arts. Spécialisée dans l’éthique, la politique et la gouvernance de l’intelligence artificielle (IA), cette actrice de changement aux multiples chapeaux, carrières et contributions, est reconnue internationalement pour son engagement pour la cause du développement technologique responsable, répondant aux objectifs sociaux et environnementaux. Rencontrée en marge de l’événement du CRIM du 27 mars sur la désinformation à l’ère de l’IA, Mme Goddard dresse un portrait des enjeux, défis et solutions envisageables en contexte de dérives technologiques, de montée de l’IA et du deepfake, et de menaces pour le droit d’auteur et l’information.
« Au cours de ma carrière, j’ai beaucoup utilisé les arts comme outil d’engagement pour comprendre les droits de la personne », explique la commissaire inter-arts qui, en voyant l’innovation technologique évoluer, sans que les discussions autour des impacts sociaux de l’intelligence artificielle ne suivent, a décidé de fonder en 2017 l’AI Impact Alliance, un OBNL qu’elle dirige depuis. L’organisme a pour mission de faciliter une gouvernance responsable de l’IA, et d’orienter son utilisation vers l’atteinte des 17 objectifs de développement durable des Nations unies.
En 2020, avec l’émergence de générateurs d’images comme DALL-E et Midjourney, Valentine Goddard est de plus en plus sollicitée pour son expertise et ses services.
Sa dernière année de travail l’aura menée à faire de nombreux constats quant aux impacts de l’IA dans le domaine de la création, un secteur où les principaux concernés se montrent très alarmistes, et avec raison. « Mais il y a toujours de l’optimisme! », rappelle la fondatrice de l’AI Impact Alliance.
Un nouveau mouvement de désinformation
« On a tendance à aborder la désinformation sous l’angle de l’actuelle polarisation politique, mais j’entrevois une prochaine vague, encore plus transformative et disruptive que celle qui creuse le fossé entre les démocrates et les républicains. On connaît l’effet dévastateur qu’a la désinformation sur la confiance du public à l’égard des institutions démocratiques, mais si le mouvement issu de cette nouvelle vague s’amène au Canada, il faut vraiment qu’on apprenne à réfléchir avec plus d’imagination, et ça, les artistes peuvent nous y aider », suggère Valentine.
« On a tendance à aborder la désinformation sous l’angle de l’actuelle polarisation politique, mais j’entrevois une prochaine vague, encore plus transformative et disruptive (…) »
L’IA et au cœur d’une guerre géopolitique qui nous implique, avec la Russie, la Chine et les États-Unis depuis au moins une décennie, afin de dominer la technologie. On ne peut en faire abstraction », soutient l’avocate, rappelant que les guerres de pouvoirs auxquelles se livrent certains pays relèvent également de la propagande et de l’ingérence étrangère. « Pour cela, ils mènent des campagnes de désinformation qui ciblent des failles dans notre société, telles des fractures sociales qui se manifestent sur les réseaux sociaux. Et la production de plus en plus sophistiquée de contenus d’hypertrucage, à cette fin ou une autre, est à la portée de tous, dans des environnements numériques aux mesures de sécurité inégales. »
Si le contexte qu’elle décrit fait baisser son optimisme, ce qu’il en reste réside plutôt dans le niveau d’éducation, pour lequel le Canada se positionne assez bien relativement aux autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « On investit beaucoup en éducation supérieure, en art et culture, et c’est vraiment en misant sur l’intelligence humaine fondamentale que l’on pourra réagir avec ingéniosité et innovation en navigant dans ce chaos. »
Une quête de la résilience, qui passe par l’innovation sociale
Va-t-on devoir réinventer nos institutions démocratiques? La façon d’engager des citoyens dans les décisions importantes? Valentine Goddard croit davantage en une solution qui intègrera l’innovation sociale.
Pour ce qui est des solutions technologiques, comme l’imposition d’un filigrane pour reconnaître les contenus générés artificiellement, ou protéger le droit d’auteur, l’experte déclare qu’elle n’y croit tout simplement pas, et que les diverses consultations auxquelles elle a pris part, menées autant auprès de technologues comme Yoshua Bengio qu’auprès d’artistes, n’ont fait que renforcer sa position. Elle émet des réserves quant à l’applicabilité du filigrane, vu la vitesse à laquelle progresse la technologie, et les défis déjà évoqués en matière de création composée et recomposée (où la combinaison de portions tantôt originales, tantôt générées par l’IA complexifie le tableau).
« Toutes les études récentes démontrent que plutôt que d’investir dans des solutions technologiques comme le filigrane, il faut investir dans notre intelligence humaine. »
La commissaire inter-arts nous met aussi en garde contre la dépendance pouvant être engendrée par le recours à l’IA, ses effets atrophiants sur nos capacités cognitives et créatives, et les biais des technologies relevant de l’IA, pouvant mener à plusieurs types d’inégalités et de disparités entre communautés.
Au chapitre des solutions, l’experte propose d’explorer le concept de « fiducie de données culturelles comme façon juridique de planifier l’économie culturelle de l’avenir », prêchant pour ce modèle plutôt que pour celui axé sur les licences générant des redevances.