
Les tribulations tarifaires de Trump, ses faits alternatifs et ses tarifs dans le secteur automobile
Par Sylvie Leduc, chroniqueuse pour LES CONNECTEURS | Chronique publiée le 11 avril 2025
Le président de notre pays voisin du sud a finalement signé son décret annonçant sa position (au moment d’écrire cette chronique) quant à l’imposition de tarifs pour des droits de douane de 25 % sur toutes les voitures et les véhicules utilitaires légers importés aux États-Unis. Son raisonnement, sans préciser ici s’il est fondé, est que cette approche obligerait davantage de constructeurs automobiles à délocaliser leur production aux États-Unis et entraînerait une baisse des prix des véhicules pour les consommateurs. Selon la plupart des économistes canadiens et américains, il est peu probable que cela se produise. Un exercice de vérification des faits s’impose.
QUELQUES RECADRAGES SUR LA DÉSINFORMATION DE MONSIEUR LE PRÉSIDENT
Bien entendu, la gestionnaire de projet que je suis, avide consommatrice d’informations de sources sûres, a porté une attention particulière aux méthodes et pratiques sous-jacentes en place pour une gestion saine et efficace des sommes à l’intérieur de l’appareil gouvernemental. Que ce soit aux États-Unis ou au Canada, avons-nous les outils technologiques pour bien percevoir les sommes imposées de part et d’autre?
Pour me faire une tête objective, j’ai consulté les publications américaines pour cerner les deux perspectives ; oh, de belles surprises!
J’ai particulièrement dévoré le « Detroit Free Press » — Détroit étant la capitale de l’automobile américaine — qui a fait une superbe vérification des faits quant aux propos du président Trump, en ciblant ce que je vais qualifier d’aberrations, pour éviter d’employer des termes plus acerbes.
Trump déclare ceci : « Les États-Unis ont perdu toutes leurs usines automobiles au profit d’autres pays. Il s’agit de l’industrie automobile, et cela va continuer à stimuler une croissance comme vous ne l’avez jamais vue. Avant mon élection, nous perdions toutes nos usines qui étaient construites au Mexique, au Canada et ailleurs. » Et bien c’est tout à fait faux. La réalité est que : « Les constructeurs automobiles américains produisent des véhicules au Canada et au Mexique depuis plus de 100 ans. L’usine d’assemblage la plus récente des constructeurs américains au Mexique est celle de Stellantis à Saltillo, qui a ouvert ses portes en 2013. L’usine d’assemblage la plus récente construite au Canada a été celle de Toyota, à Woodstock, en 2005 », a précisé Dimitry Anastakis, titulaire de la chaire L.R. Wilson et R.J. Currie d’histoire des entreprises canadiennes à l’université de Toronto. Stellantis construit actuellement une usine de batteries à Windsor, dont la construction est annoncée pour 2022, et Ford a ouvert une usine de transmission au Mexique en 2017.
Merci donc à nos merveilleux chercheurs universitaires canadiens, que nos amis américains consultent afin d’obtenir des résultats fiables à l’issue de recherches bien menées.
« M. Trump continue de parler comme s’il y avait trois industries différentes dans trois pays différents (…) Il s’agit d’une seule industrie, qui travaille à la création de véhicules américains pour les marchés américain, canadien et mexicain. » – Dimitry Anastakis
« L’idée qu’un certain nombre d’usines soient soudainement sorties de terre est fausse, amène M. Anastakis. Il n’y a pas eu d’usine entièrement nouvelle (c’est-à-dire construite à partir de zéro) de GM, Ford ou Stellantis depuis probablement 40 ans. La dernière, je crois, était CAMI Assembly en 1988, et il s’agissait d’une co-entreprise. »
Il ajoute : « M. Trump continue de parler comme s’il y avait trois industries différentes dans trois pays différents, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit d’une seule industrie, qui travaille à la création de véhicules américains pour les marchés américain, canadien et mexicain. »
D’UN ÉCONOMISTE CANADIEN TRÈS CONNU DANS LE DOMAINE DE L’AUTOMOBILE
Hier, par un bel hasard, j’ai suivi l’émission « Cross Country Checkup » à CBC Radio One, dont le sujet était… la guerre commerciale menée par Trump.
Monsieur Jim Stanford, économiste canadien très reconnu, ayant une spécialisation dans le domaine de l’automobile attribuable à son passage chez UNIFOR — syndicat canadien comptant parmi ses membres les travailleurs de cette industrie depuis deux décennies —, était présent comme expert invité. Il partageait avec Ian Hanomansing que l’infrastructure technologique des systèmes en place aux frontières américaines n’est actuellement pas en mesure de correctement comptabiliser ces mêmes tarifs, et que rien n’est prévu afin de « revamper » cette infrastructure pour bien gérer ce décret.
UNE COMPLEXITÉ UNIQUE DE FABRICATION DIFFICILEMENT DÉMANTELABLE
Le média The Hill, basé à Washington, explique la complexité et l’interdépendance des multiples chaînes d’approvisionnement, tant aux États-Unis qu’au Mexique ou au Canada, avec une gestion des stocks, approvisionnement et distribution en flux tendus (juste à temps).
Une voiture moyenne compte environ 30 000 pièces, du bloc moteur à la transmission, en passant par les minuscules écrous et boulons. Les grands constructeurs automobiles ne produisent eux-mêmes qu’une fraction de ces pièces. La plupart des composants automobiles proviennent d’un vaste réseau mondial de petits fournisseurs spécialisés, qui dépendent souvent les uns des autres.
Le choix du Mexique s’explique par son coût de main-d’œuvre moins élevé qu’aux États-Unis, réduisant ainsi les coûts de production. Bien que les salaires canadiens soient comparables en dollars nominaux, notre devise plus faible permet aux manufacturiers automobiles de réaliser des économies. De plus, chaque pays a développé une expertise ciblée dans la fabrication de pièces spécifiques et dans l’outillage des chaînes de montage. Croire que cette expertise pointue et le réoutillage des chaînes pourraient être relocalisés aux États-Unis du jour au lendemain relève de l’utopie.
LES IMPACTS ÉCONOMIQUES
Les résultats boursiers des grands manufacturiers automobiles américains sont volatiles depuis la semaine dernière, réduisant ainsi leur capacité à absorber tous les coûts résultant de ces tarifs. Les économistes prévoient une réduction de la vente de près de 700 000 voitures aux États-Unis face à la haute possibilité de se retrouver au milieu d’une récession.
Et dans le Washington Post du 22 mars, on lisait : « Trump déclare qu’il ‘se moque’ de la hausse des prix de l’automobile due à ses droits de douane. Le président Donald Trump s’est dit convaincu que sa politique tarifaire inciterait davantage d’Américains à acheter des voitures fabriquées aux États-Unis. »
C’est d’un illogisme économique…