Course à la chefferie du PLC : qui a vraiment marqué le débat en français?

Éditorial et analyse de Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef de LES CONNECTEURS
Ce lundi 24 février se tenait le débat francophone de la course à la chefferie du Parti libéral du Canada (PLC), à l’antenne de Radio-Canada, avec quatre axes de discussion prioritaires au programme : 1) la place du pays dans le monde ; 2) le renforcement d’une forte économie ; 3) le soutien de la population canadienne ; et 4) l’action climatique. Si la plupart des journalistes et chroniqueurs du diffuseur public n’ont pas tardé à accorder la victoire à Chrystia Freeland, en se focalisant surtout sur sa fluidité linguistique, il fallait aussi saluer les propositions faites du côté d’un candidat jusqu’ici négligé par les médias, soit Frank Baylis, dont les réponses se distinguaient par leur contenu plus détaillé et direct, en proposant des solutions audacieuses et moins conciliantes sur le plan des négos avec Trump…
1. Frank Baylis : des idées cathartiques

Homme d’affaires et ancien député canadien, Frank Baylis est connu pour son implication dans le secteur des technologies médicales. À défaut d’épancher les slogans vides et phrases toutes faites en introduction, il a vite rappelé ses chevaux de bataille : miser sur une économie forte et résiliente, améliorer le système de santé en investissant dans les soins à domicile et en élargissant la pratique des pharmaciens, jusqu’à en faire « le meilleur système de santé au monde », rien que ça, et moderniser le gouvernement fédéral. Certes, des aspirations dans lesquelles il semble difficile de se projeter à cette étape. Mais Baylis est perçu comme un entrepreneur pragmatique, avec une forte expertise en matière de technologies et de solutions médicales. Serait-il l’homme de la situation pour autant?
« M. Trump est un intimidateur. Tu ne donnes pas un pouce à un intimidateur (…) »
« 80 % de nos exportations vont vers les États-Unis », a rappelé le candidat, qui propose un nouveau bloc commercial entre le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni. « À défaut de mettre toutes ses menaces contre le Canada à exécution, j’avais prédit que Trump ciblerait d’abord l’acier », a glissé Baylis dans le débat, soutenant qu’il avait le mieux cerné le personnage, et qu’il savait y faire avec le président américain, avec lequel il estime qu’il ne sert plus à rien de négocier : « Parler de compromis ou de négocier une troisième version de l’entente existante ne donne rien, parce qu’il ne la respecte pas. M. Trump est un intimidateur. Tu ne donnes pas un pouce à un intimidateur, je sais comment faire et j’ai l’expérience et l’expertise pour (m’y coller). »
Tout comme Chrystia Freeland, meneuse du débat pour plusieurs, Baylis entrevoit très bien de se servir de l’hydroélectricité comme moyen de pression contre Trump.
Oui au gazoduc pour importer le gaz de l’Alberta vers l’est et l’ouest, oui à une ligne de transmission électrique pancanadienne, et oui au TGV si tant est que le projet soit bien exécuté. Et comme tous les candidats libéraux, il manifeste son soutien à l’immigration, dont il valorise la richesse et l’apport.
S’il partage la même position que ses candidats quant à son opposition à la Loi 21 qu’il juge discriminatoire, il assume plus solitairement sa position marquée en faveur de la reconnaissance immédiate de l’État de la Palestine.
Sur le plan budgétaire, il s’oppose à toute promesse de baisse de la TPS, et partage l’avis de Mark Carney sur la possibilité d’atteindre l’équilibre budgétaire en augmentant la productivité du Canada. Il promet également de supprimer la taxe fédérale sur le carbone.
2. Chrystia Freeland : quand l’union fait la force

Chrystia Freeland a misé sur un discours charismatique et anti-Trump, le soutien à l’Ukraine, et la peur des Canadiens de voir « Donald Trump envahir le pays ». Qualifiant la terreur qu’il sème de « plus grande menace au Canada depuis la deuxième guerre mondiale », Freeland n’a pas ignoré l’anxiété généralisée des Canadiens, qui agit comme un facteur d’unité au pays, à l’image du consensus qu’elle et les trois autres candidats libéraux affichaient tout au long du débat, lorsqu’il s’agissait notamment de prendre la parole contre la droite montante de Pierre Poilièvre (Parti conservateur du Canada).
Elle a martelé ses efforts marqués en tant que vice-première ministre du Canada, notamment en matière de libre-échange, et s’est surtout félicitée des négociations menées par le passé avec Trump quant à l’ALENA. « On doit renforcer la collaboration dans la sécurité internationale » et renforcer nos liens avec l’Union européenne et l’Asie pacifique, a-t-elle insisté.
« Je salue cette idée du premier ministre Legault (de proposer de suspendre les exportations d’électricité aux États-Unis) et je pense que c’est excellent qu’il soit prêt à utiliser tous les outils (à disposition). »
« On est le marché le plus important pour les États-Unis », a rappelé celle qui, tout comme Baylis, se laisse séduire par la proposition du premier ministre du Québec, François Legault, de couper le robinet de l’hydroélectricité aux Américains en guise de moyen de pression : « Je salue cette idée du premier ministre Legault et je pense que c’est excellent qu’il soit prêt à utiliser tous les outils (à disposition). »
Chrystia Freeland veut également lever la TPS pour l’achat de nouvelles maisons. Elle n’a pas fourni de réponse claire concernant le délai de retour à l’équilibre budgétaire. Comme Carney, elle a annoncé qu’elle abandonnerait la taxe fédérale sur le carbone.
3. Karina Gould : (trop?) sage et compatissante

Karina Gould s’est vite adressée au peuple canadien pour lui témoigner toute son empathie, consciente des défis liés aux frais d’hypothèque, au prix de l’essence, et aux conditions de retraite. Mais trop générale et en surface, elle n’a su satisfaire les questions s’intéressant aux stratégies de souveraineté et de force économiques, ni convaincre de détenir les clés d’un début de dénouement et de résorption des tensions internationales. Elle n’aura toutefois guère fait pire que Carney qui, dans une maladresse de langue, a émis le contraire de sa pensée, formulant que les candidats étaient « tous d’accord » avec le Hamas plutôt que d’accord pour le dénoncer.
« À mon avis, la Charte du Canada, c’est la Charte du Canada. »
Gould propose de faire passer la TPS de 5 % à 4 % pour une durée d’un an. Elle juge irréaliste le délai de trois ans pour le retour à l’équilibre budgétaire. Contrairement à ses adversaires, elle soutient le maintien de la taxe fédérale sur le carbone, arguant qu’elle permet de réels progrès en matière de changement climatique. Elle affirme que ce prix sur la pollution représente 10 à 15 % des émissions canadiennes.
Enfin, tout comme les autres candidats, elle ne s’est pas faite la défenseuse des intérêts francophones hors Québec à travers la Loi 21, précisant, en réponse à la question de la protection du français au Canada, qu’« À mon avis, la Charte du Canada, c’est la Charte du Canada ».
4. Mark Carney : un historique reluisant mais un français bancal

Mark Carney a fait valoir les compétences et l’historique pour lesquels il s’est illustré en tant que gouverneur de la Banque du Canada, navigant avec succès à travers la crise financière de 2008. « Je sais comment traverser les crises, bâtir de fortes économies », a soutenu celui qui préfère se concentrer sur ce qu’il est possible de contrôler, en temps de grande incertitude.
« Je sais comment traverser les crises, bâtir de fortes économies. »
Oui à diversifier les partenaires commerciaux du Canada, tirer le maximum de nos vastes ressources en énergie conventionnelle et propre, en métaux critiques et minéraux stratégiques, développer le nucléaire, l’hydroélectricité, l’éolien, l’hydrogène, le stockage par batteries et la capture du carbone, puis miser sur nos acquis en intelligence artificielle pour revitaliser la machine étatique.
Carney souhaite lever la TPS pour l’achat de nouvelles maisons. Il évoque un délai de trois ans pour le retour à l’équilibre budgétaire, assurant qu’il « sait compter ». Il se dit d’accord avec l’idée d’atteindre cet objectif en augmentant la productivité du Canada, et promet de supprimer la taxe fédérale sur le carbone, pour la remplacer par un système d’incitatifs pour des achats verts, de sorte à ce que le prix sur la pollution soit celui facturé aux grands pollueurs du secteur industriel, plutôt qu’aux consommateurs de la masse.
Les Canadiens face aux menaces d’annexion par les États-Unis
Si la bourde de Mark Carney sur le Hamas a gardé les analystes des médias bien occupés, personne n’a « challengé » les affirmations du modérateur du débat, Pierre Jobin, ex-chef d’antenne de TVA-Québec qui, dans son élan pour questionner les débatteurs quant à l’unité des Canadiens, a affirmé que selon « des sondages », 15 à 20 % de ces derniers voulaient s’annexer aux États-Unis. Des chiffres tirés hors de leur contexte ou inventés, puisque les seuls sondages ayant fait état d’une minorité croissante de Canadiens en faveur de l’annexion révèlent des taux de 10 à 13 % à tout casser, que d’autres études contredisent. Un sondage de la firme Angus Reid, dont les résultats ont été publiés en janvier dernier, estimait déjà à 90 % la proportion de Canadiens qui ne voulaient rien savoir de l’annexion. Une majorité qui s’impose de plus belle depuis, à travers divers mouvements nationalistes, devant l’enchaînement des provocations de Trump à l’égard du Canada et d’autres nations.