Agroalimentaire
Quand on teste la réalité virtuelle (VR) sur les animaux

Quand on teste la réalité virtuelle (VR) sur les animaux

L’utilisation de la réalité virtuelle (VR) pour améliorer le bien-être des animaux d’élevage fait l’objet d’expérimentations depuis quelques années, suscitant à la fois intérêt et scepticisme dans le milieu agricole. Cette technologie, initialement développée pour les humains, est désormais envisagée comme un outil potentiel pour réduire le stress des vaches laitières et ainsi optimiser leur production. Mais devrait-on vraiment utiliser la VR sur les animaux?

L’importance de la gestion du stress chez les vaches laitières

Michel Lemire, producteur laitier de Saint-Zéphirin-de-Courval au Québec, souligne que l’environnement représente 50% des facteurs influençant le bien-être des vaches et la qualité de leur lait. Le stress, causé par divers facteurs comme les conditions climatiques ou la présence de menaces, peut significativement affecter la productivité des bovins.

L’environnement compte pour 50 % des facteurs environnementaux qui influent sur le bien-être de la vache et la qualité de son lait.

C’est que les hormones du stress modifient la synthèse des protéines et le métabolisme énergétique des vaches, ce qui fait que leur énergie est investie dans la gestion et la compensation du stress, plutôt que dans la synthèse du lait ou du renforcement du muscle, qui ne sont pas essentiels à la survie immédiate de l’animal. Leur système immunitaire en est aussi affaibli, ce qui les expose aux maladies.

Pour toutes ces raisons, les producteurs laitiers ont intérêt à calmer leurs vaches et à réduire leur anxiété, par exemple, en garantissant la qualité des fourrages (plantes qui servent à nourrir les vaches) pour une meilleure alimentation, et en optimisant la régie du troupeau.

Des expériences pionnières en Russie, en Turquie et aux États-Unis

En 2019, la ferme laitière RusMoloko, située près de Moscou, a été la première à tester des casques de VR spécialement conçus pour les vaches. L’objectif était de créer une simulation d’un environnement estival apaisant, permettant aux bovins de se sentir plus libres malgré leur confinement en bâtiment d’élevage. Selon les premiers résultats rapportés, cette expérience aurait amélioré « l’humeur générale du troupeau ».

Quelques années plus tard, un éleveur turc, Izzet Kocak, a reproduit l’expérience sur deux de ses vaches. Combinant VR et musique classique, il aurait constaté une augmentation de 22% de la production laitière, l’incitant à étendre le dispositif à une dizaine d’autres bovins.

« Dans de nombreux cas, les lunettes pourraient en réalité causer du stress et de l’inconfort chez les bovins. » – Jason Banta

Il y a une dizaine d’années, aux États-Unis, a émergé un projet fictif du nom de « Second Livestock », qui voulait que l’on utilise la VR sur des poulets, afin qu’ils côtoient leurs homologues virtuels dans une sorte de jeu immersif. Comparable au jeu « Les Sims », mais « version poulet », le concept visait à leur donner l’impression d’exister dans un environnement apaisant, sur le chemin vers… l’abattoir.

Une entreprise basée à New York, Celeritas, développe quant à elle des solutions pour les cliniques vétérinaires et les animaux, proposant des casques de VR pour distraire les chiens.

Des avis partagés sur l’efficacité et l’éthique de la VR

Les avis sont mitigés quant aux effets de la VR sur les animaux, mais son usage est vivement déconseillé par les experts qui y voient des risques de perte de repères pour les chiens, notamment. (Crédit : image générée avec l’IA d’Adobe Express sous licence)

Malgré les résultats prometteurs rapportés en Russie et en Turquie, l’utilisation de la VR chez les bovins est loin de faire l’unanimité. Jason Banta, professeur associé et spécialiste de l’élevage bovin au Texas, met l’industrie et les maîtres d’animaux en garde : « Dans de nombreux cas, les lunettes pourraient en réalité causer du stress et de l’inconfort chez les bovins. » La prudence est de mise.

Yanick Grégoire, directeur adjoint aux communications des Producteurs de lait du Québec, indique en entrevue qu’à la connaissance de son organisation, cette technologie n’a pas été utilisée sur le territoire canadien. Bien que favorables à l’innovation, les producteurs attendent des recherches scientifiques plus approfondies avant d’envisager l’adoption de cette méthode, jugée « relativement nouvelle, spécifique et onéreuse ».

Des alternatives éprouvées pour le bien-être animal

Les experts recommandent plutôt de se concentrer sur des méthodes traditionnelles pour réduire le stress des vaches : offrir un environnement calme avec des routines stables ; respecter l’espace et le champ de vision des animaux ; assurer de bonnes conditions de logement (espace suffisant, alimentation adaptée, ventilation adéquate, etc.) ; et faciliter les contacts sociaux entre animaux.

M. Grégoire explique qu’au Québec, les producteurs laitiers doivent se conformer au code de pratique pour la manipulation des bovins laitiers, dont l’application est auditée annuellement via le programme de validation proAction.

Une autre solution émergente : l’IA et l’Internet des objets

Plutôt que la réalité virtuelle, la recherche au Canada s’oriente vers des solutions combinant intelligence artificielle (IA) et Internet des objets. À l’Université McGill, la professeure Elsa Vasseur et son équipe développent des systèmes d’analyse des émotions et des expériences positives des vaches à l’aide de capteurs corporels et environnementaux, couplés à des algorithmes d’IA.

Cette approche, plus en phase avec les pratiques actuelles d’élevage, pourrait offrir une alternative éthique et efficace pour améliorer le bien-être des vaches laitières, sans recourir à des technologies immersives controversées.

Par Chloé-Anne Touma, rédactrice en chef, LES CONNECTEURS | Publié le 29 janvier 2025