Grande entrevue : Luc Sirois | 6 axes stratégiques pour l’avenir de l’innovation au Québec
Si le Québec se positionne comme une nation créative, et déjà comme le leader de l’intelligence artificielle responsable, des défis importants demeurent en matière d’innovation et de commercialisation. C’est le constat dressé par Luc Sirois en entrevue avec LES CONNECTEURS. Au cœur des préoccupations de l’innovateur en chef du Québec : le déclin progressif de la province en création de nouveaux produits et services, ainsi qu’en intégration technologique, comparativement à d’autres nations.
Reportage et entrevue menés par Chloé-Anne Touma | Publié le 16 juin 2025
Selon Luc Sirois, l’avenir du Québec, son système d’éducation et de santé – secteurs où les avantages de l’innovation sont notoires – dépendent de sa capacité à créer de la richesse par l’innovation et la valeur ajoutée, plutôt que par la compétition sur les commodités ou un taux de change bas. Pour inverser cette tendance, plusieurs initiatives structurantes sont en cours ou envisagées.
« Pour avoir un système d’éducation et un système de santé à la hauteur, il faut qu’on soit une société qui innove et qui crée de la richesse constamment. C’est essentiel. »
1. L’ouverture d’Ax.c : un hub pour catalyser la collaboration
L’une des pierres angulaires de la stratégie québécoise est Ax.c, le grand pôle d’innovation situé dans le quartier des affaires de Montréal. Ce lieu rassemble une multitude d’accélérateurs, d’incubateurs et de start-up, favorisant les rencontres et les collaborations quotidiennes. Luc Sirois souligne qu’un tel regroupement d’organisations en un seul endroit est rare, voire inégalé, à l’échelle mondiale, le comparant même à l’envergure de Station F à Paris. Mais plus que l’architecture ou le design, c’est la communauté et les personnes qui habitent le lieu qui font la véritable différence, comme ce fut le cas pour la Maison Notman.
« Ce qui fait vraiment la différence [dans un hub d’innovation], c’est le monde, c’est la communauté qui se bâtit. »
Ax.c est perçu comme une continuité des efforts passés, comme ceux de Québec Tech, visant à créer le « software » (logiciel) ou les activités et le réseau au sein du « hardware » (matériel) ou bâtiment.
2. L’intersectorialité et le rôle crucial du mentorat
Pour l’innovateur en chef, le croisement des perspectives est quasi une « triche » bénéfique dans le processus créatif et scientifique. L’intersectorialité, qui intègre par exemple les sciences sociales et humaines dans le développement de l’intelligence artificielle, est essentielle. Pour les start-up, le réseau de contacts est la ressource la plus précieuse. Avoir accès à des mentors professionnels, humbles et expérimentés, qui se sont déjà « cassé les dents », fait une énorme différence, offrant aux entrepreneurs des perspectives et l’accès à des experts inattendus.
3. Transfert et commercialisation : le maillon faible à renforcer
Un défi majeur pour le Québec réside dans le transfert de la recherche académique vers l’industrie et la société. Bien que la recherche universitaire au Québec soit de très haute qualité et attire des experts mondiaux, sa commercialisation est un point faible. La création d’Axelys, société de valorisation et de transfert, témoigne de cette volonté d’amélioration, avec l’objectif de multiplier significativement les résultats pour s’apparenter aux grandes universités américaines.
« Les autres nations nous dépassent pas mal en termes de création de nouveaux produits et services, et d’intégration des technologies. Il faut transformer nos produits, être des fournisseurs de technologie partout. »
La question de la protection de la propriété intellectuelle, particulièrement en IA, est également soulevée. Bien que le Québec et le Canada n’aient pas une tradition de brevets en IA, il est crucial de protéger les éléments d’opérationnalisation et de déploiement des systèmes d’IA pour que la création de richesse alimente le cycle de financement de la recherche et de l’éducation.
4. Le Québec comme leader de l’IA responsable et lieu attractif
Le Québec possède un terroir fertile de talents et quatre zones d’innovation officielles (numérique, quantique, transition énergétique, aéronautique). L’innovateur en chef rappelle que la province est déjà un pionnier en IA responsable, avec des initiatives comme la Déclaration de Montréal et l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA (OBVIA). Les travaux de Yoshua Bengio et son laboratoire « LoiZéro », axés sur le développement d’IA éthiques, renforcent cette position. Bien que des dangers de l’IA existent à court et long terme, les avantages sont significatifs, notamment en science, médecine et éducation.
5. Investir dans la prochaine génération
Pour assurer la relève en innovation, il est fondamental d’éveiller l’intérêt des jeunes pour les sciences et la technologie. Des événements comme le festival Eureka!, les Expos-sciences ou L’Odyssée de l’objet (Réseau Technoscience) sont essentiels pour leur donner le goût d’inventer, de rechercher et de découvrir. Luc Sirois appelle chacun, y compris le milieu de l’innovation, à s’impliquer, car le système scolaire est souvent débordé.
6. Investir dans la collaboration avec le réseau universitaire et collégial
L’importance de favoriser l’échange intersectoriel et le rapprochement du milieu entrepreneurial avec celui de la recherche académique et des étudiants, à l’image de ce que fait Mitacs à l’échelle du pays – et de ce que permettra d’autant plus Ax.c dont l’OBNL est membre -, fait également partie des priorités.
Si, d’un côté, les coupures annoncées dans le financement de base accordé aux 59 centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT) de la province font couler beaucoup d’encre, de l’autre, l’innovateur en chef rappelle que le gouvernement du Québec a mis en place de nouveaux crédits d’impôt (CRIIC) pour la recherche, l’investissement et la commercialisation, dans le but de sensibiliser les dirigeants d’entreprises à l’importance d’investir dans l’innovation et de collaborer davantage avec les universités et CCTT. Un virage qu’il estime nécessaire pour que le Québec puisse transformer ses produits, devenir un fournisseur de technologie à l’échelle mondiale et assurer un développement durable et soutenable.