Santé
L’inclusion et l’intentionnalité en santé : des idées de la gauche ou des solutions éprouvées?

L’inclusion et l’intentionnalité en santé : des idées de la gauche ou des solutions éprouvées?

Par Giovanni Arcuri, chroniqueur pour LES CONNECTEURS | Publié le 4 mars 2025

Si je vous disais qu’il existe une approche concrète et éprouvée pour optimiser l’accès aux soins de santé au Canada et réduire les coûts, seriez-vous prêt(e) à l’envisager? Sachant qu’en 2024, les dépenses en santé au Canada ont atteint environ 372 milliards de dollars, soit 9 054 $ par habitant, l’équivalent de six iPhone 16 par habitant ou 3 018 pintes de lait, représentant 12,4 % du PIB, nous devons repenser notre approche en santé.

Pour lire la chronique telle que parue initialement dans la revue animée et interactive LES CONNECTEURS :

L’IA n’est qu’une partie de la solution

Ma proposition ne repose ni sur l’IA – même si elle pourrait nous aider à relever certains défis – ni sur des robots, des super-héros ou des super-humains, même si l’idée d’avoir des héros capables d’éliminer toutes les maladies, les problèmes et même la surutilisation d’opiacés ferait rêver mon enfant intérieur.

Le travail supplémentaire obligatoire, et les anges gardiens?

Elle ne repose pas non plus sur plus d’heures supplémentaires obligatoires de nos anges gardiens, bien que le premier ministre François Legault ait salué avec bienveillance le travail acharné des professionnels de la santé durant la pandémie en leur attribuant des surnoms affectueux. Je ne suis pas ici pour débattre de politique ou du recul de certains droits, même si ces réalités existent bel et bien et me préoccupent pour l’avenir de notre société.

L’intentionnalité et l’inclusion comme moteurs d’une restructuration du système de santé

Mon objectif est d’affirmer que l’inclusion et l’intentionnalité sont des composantes essentielles, réalistes et efficaces pour résoudre un problème complexe et multifactoriel. L’inclusion permet d’optimiser l’accès aux soins, de réduire les inégalités et d’améliorer les résultats de santé en impliquant toutes les parties prenantes dans la prise de décision et l’organisation des soins. L’intentionnalité, quant à elle, est un concept clé en ergothérapie, une profession souvent méconnue mais à fort potentiel. En ergothérapie, l’intentionnalité désigne la capacité à diriger ses actions vers un but significatif en fonction des valeurs d’un individu ou d’une communauté, des besoins et de l’environnement. De la perspective de changements systémiques, elle consiste à structurer, adapter et optimiser l’environnement – le système – pour qu’il réponde aux besoins spécifiques des individus et des communautés en prenant en compte tous les facteurs associés. Cette approche devrait être intégrée dans toutes les facettes des changements systémiques en santé.

« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter et à commettre les mêmes erreurs. » – George Santayana

« Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter et à commettre les mêmes erreurs », disait George Santayana. L’inclusion dans les soins cliniques et en recherche ne relève pas seulement d’un impératif moral : c’est une nécessité scientifique, sociale et économique. Pendant des décennies, les études cliniques et biomédicales ont été dominées par des échantillons homogènes, souvent composés d’hommes blancs, excluant ainsi de nombreuses populations marginalisées. Or, cette approche biaisée a eu des conséquences réelles : des traitements moins efficaces, des diagnostics tardifs et une compréhension partielle des divers facteurs influençant la santé.

À d’autres moments, certaines communautés, telles que les hommes noirs ou les personnes atteintes de troubles de santé mentale, ont été exploitées dans le cadre d’expériences médicales contraires à l’éthique. Un exemple marquant est l’étude de la syphilis de Tuskegee, menée aux États-Unis de 1932 à 1972. Dans cette étude, des centaines d’hommes noirs atteints de syphilis ont été privés de traitement, même après la découverte de la pénicilline comme remède efficace. Non informés de la nature réelle de l’étude, ces patients ont subi des souffrances inutiles au nom du progrès médical.

Un autre cas troublant s’est déroulé à Montréal, ma ville natale, où des personnes atteintes de troubles de santé mentale ont été utilisées comme cobayes non consentants dans des expériences comme celles menées par le Dr Ewen Cameron à l’Institut Allan Memorial. Sous couvert de recherches sur la mémoire et le conditionnement, ces patients ont été soumis à des thérapies expérimentales incluant des électrochocs intensifs, des privations sensorielles et l’administration de médicaments psychoactifs, souvent sans leur consentement. Ces pratiques, financées en partie par la CIA dans le cadre du projet MK-Ultra, sont aujourd’hui considérées comme des violations graves de l’éthique médicale et des droits des patients.

L’exclusion coûte bien plus cher

Les inégalités dans la recherche se traduisent directement en inégalités dans l’accès aux soins. Une méta-analyse publiée dans The Lancet en 2020 a montré que les patients issus de minorités raciales aux États-Unis avaient 30 % de chances en moins de recevoir des traitements appropriés pour des maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension. De même, les personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme ou de déficiences intellectuelles sont souvent exclues des études, bien qu’elles présentent des taux élevés de comorbidité et nécessitent des approches thérapeutiques adaptées.

Santé Québec : les grandes forces du travail de restructuration en cours

Je tiens à applaudir le travail colossal en cours mené par la PDG de Santé Québec, Geneviève Biron, le ministre de la Santé, Christian Dubé, et le ministre des Services sociaux, Lionel Carmant. Leur engagement envers la transformation du système de santé est essentiel. Je serais d’ailleurs honoré de leur prêter ma plume et mes idées pour continuer à optimiser notre système de santé et bâtir un avenir plus inclusif et efficient pour tous.

« L’innovation ne peut se limiter à des ajustements progressifs ; elle doit s’ancrer dans une transformation systémique, favorisant la prévention, l’accessibilité et l’intervention précoce. »

Dans un contexte où l’innovation est essentielle pour répondre aux défis du système de santé, celle-ci doit être intentionnelle et inclusive. Il ne s’agit pas seulement de modifier des pratiques existantes, mais bien de restructurer le système de manière à assurer un accès équitable et adapté aux besoins diversifiés de la population. L’innovation ne peut se limiter à des ajustements progressifs ; elle doit s’ancrer dans une transformation systémique, favorisant la prévention, l’accessibilité et l’intervention précoce.

Le modèle actuel repose majoritairement sur une dépendance aux soins médicaux comme porte d’entrée, au détriment d’autres points d’accès plus inclusifs et en amont. Un système plus efficient offrirait une diversité de voies d’accès, intégrant des approches interdisciplinaires et centrées sur la personne afin de mieux répondre aux besoins variés des individus, en particulier ceux qui rencontrent des barrières structurelles aux soins.

L’accès limité aux soins en ergothérapie illustre bien ces lacunes. Actuellement, l’entrée dans le système de santé mentale repose principalement sur les médecins et les infirmiers praticiens spécialisés (IPS), reléguant les ergothérapeutes à un rôle de deuxième ou troisième ligne. Cette organisation restreint leur capacité à agir en prévention et en intervention précoce, empêchant ainsi une prise en charge proactive et adaptée aux besoins des patients. Seuls les cas modérés à graves leur sont référés, ce qui entraîne des délais importants et une aggravation des symptômes. Un modèle plus intentionnel et inclusif permettrait aux ergothérapeutes d’être intégrés plus tôt dans le parcours de soins, réduisant ainsi l’impact des troubles sur le fonctionnement quotidien et limitant les coûts associés aux prises en charge tardives.

L’optimisation intentionnelle des tâches méconnues, tel que les notes cliniques, afin d’optimiser l’accès… et l’inclusion

On peut, par exemple, mettre de l’avant l’expertise des professionnels non médicaux afin de prioriser l’accès aux médecins pour ceux qui en ont réellement besoin, tout en multipliant les points d’accès en amont. Repenser ce système, c’est optimiser les ressources, réduire les délais et améliorer significativement la qualité de vie des individus. Il faut miser sur l’expertise des professionnels non médicaux et l’intégration de technologies avancées comme l’intelligence artificielle pour optimiser l’accès aux soins. L’IA nous permet d’assister nos clients en facilitant la prise de rendez-vous, en personnalisant les suivis et en améliorant l’orientation vers les ressources adaptées. On peut aussi utiliser l’IA pour soutenir la rédaction de notes cliniques, une tâche méconnue du grand public mais essentielle pour tous les professionnels de la santé. Pourtant, c’est souvent une partie du travail que beaucoup d’entre nous, moi y compris, trouvent fastidieuse, malgré mon amour pour l’écriture. J’applaudis donc le travail de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec sur l’optimisation des écrits en ergothérapie afin que notre temps soit consacré à nos patients plutôt qu’à nos ordinateurs et aux craintes de ne pas satisfaire les exigences administratives.

Le projet de loi 67 : un bel exemple d’intentionnalité et d’inclusion

Dans un contexte où l’optimisation des soins de santé est plus essentielle que jamais, une initiative novatrice a été mise en place pour alléger la charge administrative des ergothérapeutes et recentrer leur travail sur l’essentiel : les patients. Ce projet vise à réduire le temps consacré aux écrits en ergothérapie, permettant ainsi aux professionnels de maximiser leur rôle clinique et d’améliorer l’accessibilité aux soins.

S’inscrivant dans une démarche plus large d’inclusion et d’innovation, cette initiative s’agence bien avec la modernisation des pratiques diagnostiques et une révision stratégique de la répartition des tâches entre les différents professionnels de la santé. Le projet de loi 67 représente une avancée significative en ce sens, en reconnaissant que plusieurs services actuellement en attente pourraient être offerts par des professionnels qualifiés, formés et compétents pour ces interventions.

En réévaluant les rôles au sein du système de santé, cette approche contribue à réduire les délais d’attente et à améliorer l’accès aux soins pour l’ensemble de la population. Je tiens d’ailleurs à remercier ceux qui j’estime s’illustrent par leur engagement envers l’amélioration des pratiques en ergothérapie et en soins de santé : Alexandre Nadeau, président de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec, Marie-France Jobin, directrice du développement et de la qualité de l’exercice, Dallas Warren, conseillère cadre à la pratique professionnelle, Nancy Boudrault, erg., cheffe de l’inspection à l’OEQ et présidente du comité d’inspection professionnelle, et Marc-Nicolas Kobrynsky, sous-ministre adjoint à la Direction générale de la planification stratégique et de la performance du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.